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Texte de Philo Bregstein sur Jean Rouch

Voici d'abord, en guise d'introduction, pourquoi ce texte m'a été communiqué et pourquoi j'ai souhaité le publier sur le site de Lorimage: il s'agit ici de la copie de mon courrierIn envoyé à l'auteur de ce texte Philo Bregstein vendredi  06/08/2004 à 05:59.

Cher Philo,

Je te remercie pour cette soirée en ta compagnie. J’ai lu le formidable texte que tu as écrit sur ton expérience avec Jean Rouch. Il faut le publier. Tu m’as dit qu’il sera publié sur un site Internet en Anglais. Le sera-t-il en français ?

Si tu le souhaites, je peux le publier moi-même sur Internet avec un lien de mon site vers lui et un autre lien vers où tu veux (indiques-le-moi, veux-tu ?).

Dis-le-moi vite avant mon départ en vacances pour que je le fasse. Dans ce cas, si tu peux m’envoyer le fichier, cela simplifiera le travail et m’évitera de tout scanner et d'opérer  la reconnaissance de caractères.

Si tu as des problèmes pour me l’envoyer en fichier joint, je peux t’aider car c’est très facile. Cela me simplifiera la tâche car je n’ai pas de secrétaire pour le moment.

Pour te donner une idée de ce que cela peut devenir, je publie pour m’amuser ce soir, comme je te l’ai dis, le petit texte sur les cinq enseignements du caméléon que tu m’as remis tout à l’heure. C’est un très beau texte plein de sagesse. (J’en ferai une copie pour le patron du restaurant « le caméléon » à Montparnasse, à moins qu’il ne le connaisse déjà).

Heureusement, s’il faut s’en inspirer et bien l’avoir en tête, un homme est aussi heureusement beaucoup d’autres choses encore qu’un simple caméléon, et les mots ont le tort de trop souvent limiter des complexités à des formules. Hélas, trois fois, hélas, c’est aux mots que l’on doit tant de méfaits et je me souviens encore de Jean me disant que c’est l’invention de la parole chez les hommes qui a inventé « la Mort », car, il semble pour certains qu’avant cette invention (par certains côté heureusement très belle et très instructive mais par d'autres hélas néfaste), la mort n’existait pas…il faut donc en permanence se méfier des étiquettes engendrées par les mots car ils produisent trop souvent l’erreur de nous faire croire que l’on peut dire d’une personne un seul mot ou même un groupe de mot. C’est ainsi que souvent des réputations se font et se défont sur des malentendus. Heureusement qu’aujourd'hui il y a Internet pour publier ce que l’on est, ce que l’on pense, ce que l’on croit, ce que l’on a fait, produit, écrit, pensé, etc … car du coup les gens avant de dire du mal de quelqu’un peuvent venir juger la personne sur l’ensemble d’un travail, l’ensemble d’un parcours ou sur quelques traces seulement. Cela devrait éviter à l'avenir les formules méprisantes que l'on entend hélas sur beaucoup de personnes qui ne l’ont pas méritées. On pourra juger comme d’une exposition, d’un concert, ou d’une œuvre. Tu sais ce que je pense de cette Immense invention qu’est Internet ou le Web. Les méchants finiront par comprendre que l'une des seules richesses qui existent est finalement intérieure: la mémoire et cette intériorité, grâce à Internet sera collective, offerte (ou presque), rendue partageable avec tous, y compris les souvenirs de vacances de chacun en images qui deviendront ainsi une richesse collective, la mémoire collective étant la seule grande richesse de toute l’humanité.

Donc voilà l’exemple d’un outil phénoménal autant (et complémentaire) que cet autre outil Immense et salvateur pour l’humanité, (parmi d'autres outils encore) la caméra de cinématographie ou même de vidéo numérique avec son cortège de corollaires (encore qu’il faille à mon avis attendre la haute définition pour que la qualité vidéo puisse vraiment être presque équivalente ou comparable à un bon 35 mm – j’ai vu à ce sujet des essais très probants). Un outil qui permet de rendre chacun de nous des 'émetteurs', en relation avec tous dans les temps à venir. Un peu comme ces statues de l'Iles de Pacques émettrices, encore aujourd'hui, à notre époque, d'un savoir acquis non seulement par une chaîne de générations à l’œuvre dans une île coupée de tout, mais par le mérite individuel des plus sages, liés à l'apprentissage de la vraie sculpture, émettrice de signes, de sens, de questionnement, de réponses aux énigmes de l’existence, c'est-à-dire de la conscience de la permanence d'une trace possible dans cet apparemment impermanence de l’existence, trace que l'on pourra laisser, empreinte comme un signe d’amitié à d’autres ‘singes’ en cherchant à faire voyager la beauté... Comme si chacun de nous était devenu une sorte d’État ou d’Univers pouvant se raconter en image, en sons en textes, etc… !!!!! Donc un outil qui libère encore l’homme, comme le crayon, qui est si Immense qu’il a certainement fondé en partie la civilisation, donc un outil si grand qu’il implique forcément la notion de responsabilité et qui ne peut être utilisé, comme pour la caméra, que dans l’optique d’un meilleur ou en vue d’une métamorphose humaine vers une conscience collective universelle où la cruauté doit être forcément bannie, car cela ne sert à rien d'oeuvrer pour la faciliter, c'est à dire pour "mordre", car on peut toujours changer les choses sans avoir besoin d’être enrager. Car c’est un si beau cadeau que se serait vraiment injuste, immonde, minable, misérable, microbiens que de chercher à faire du mal avec….

Donc les mots peuvent tromper s’ils sont mal employés ou employés par des incompétents. J’aime le texte d’Amadou Hampâté Bâ cité par l’ambassadeur Inoussa Ousseini au cours de la messe pour Jean Rouch donnée par la femme de Jean, Jocelyne, à l’église Saint-Merri à Paris à laquelle nous avons l’un et l’autre assisté, placés côte à côte, car c’est ici un texte où les mots ne cherchent pas à tromper, ils nous disent d’être prudents. Tu sais que Jean Rouch aimait beaucoup entendre cette histoire de caméléon et j'ai beaucoup aimé la découvrir par la bouche d’Ousseini qui l’a très bien dites ce jour-là. Je te remercie de me l’avoir apporté ce soir sur cette feuille de papier, et c’est aussi d’une certaine façon un texte très « comme il faut » (avec une pointe d’humour ici). Voilà donc une parabole bien instructive bien que je puisse émettre quelques réserves : la première, c’est qu’elle veut nous faire croire que l’homme est un caméléon ou un apprenti caméléon. Or l’homme, s’il a en effet à apprendre des caméléons n’est pas seulement un caméléon car il est infiniment d’autres choses que le caméléon ne peut-être et en tout premier lieu :  il n’est pas du tout un prédateur et cela dès sa naissances. J'en suis aujourd'hui, après des années d'études et de travail dans de nombreuses formes artistiques (peinture, sculpture, photo, vidéo, etc ) tout à fait convaincu et persuadé.  C’est, hélas sa croissance (son développement) plus ou moins au contact de certains aspects néfastes de la civilisation ou de certains êtres ayant refusés la civilisation dans son aspect le plus noble, le plus intéressant donc, qui est responsable de sa dégénérescence. (Civilisation au sens où ces mots impliquent la nécessité de la "conscience" donc de "responsabilité" par opposition à l’inconscient - souvent banal, peu intéressant et tournant toujours autour des mêmes schémas et des même stupidité - et comme tu connais l’italien, je vais me permettre ici un jeu de mot autour du mot « schémas » : donc j'ose dire:  autour des mêmes schémas « scemi », prononcé ici à l'italienne «schémi » de ‘scemo’ (prononcé en italien, comme tu le sais, « schémo» qui veut dire « singe » mais au sens de  ‘stupide’,  ce qui n’est bien sûr pas vrai du tout dans la réalité car nous avons nous les hommes tous beaucoup à apprendre des singes et surtout de leurs façons de s’alimenter: Il y a certainement beaucoup de molécules très utiles pour la santé dans ce que consomment les singes, et si nous avons perdu un peu de force de mastication dans nos mâchoires humaines pour mâcher certaines plantes, nous avons des outils broyeurs pour nous servir des jus, ou de concentrés de plantes, comme ils les mangent ; j’ai eu la chance de les essayer à New York, dans ces bars où l’on sert du jus d’herbes, par exemple. Et ce n’est certainement pas par bêtise qu’un gorille ou la majorité des singes sont végétariens ! Je suis même persuadé que c’est ici la principale raison de la divergence entre cette espèce et l’espèce qui a donné les hommes (dans la chaîne de l’évolution) dans la mesure où l’espèce des singes a encore la chance de vivre d’une certaine façon au Paradis et une grande partie des hommes non ! La communication a été perdue il semble il y a bien longtemps entre eux et certains d’entre nous, car eux les singes se parlent d'une façon muette, en se regardent dans les yeux entre eux ou d'une façon mystérieuse pour nous ce qui veut dire que la plupart d’entre nous, comme l’a dit Jean Rouch, d'une certaine manière, par l'invention de la parole, nous l'avons mal employée et avons même maudit, (au sens de mal-dire) ; donc nous nous sommes déshonorés non seulement en parole mais aussi en action en acceptant par ailleurs le meurtre des animaux pour nous enrichir sur leur dos et développer ce que nous appelons une civilisation mais qui ne l’est vraiment que parce que le bouddhisme a existé et a refusé de s’abaisser à tuer ou même dans certaine partie de l’Inde où l’on a préservé ce qui fait l’honneur et la noblesse de l’homme, en refusant de se conduire comme un lion ou un tigre (ce qui n’est pas l’homme)! Je comprends donc que les singes auraient acquis le droit de nous mépriser, ce qu’ils ne font pas car ils sont sur ce point plus nobles que nous et ne perdent pas de temps avec des sentiments inhumains (le mépris). Ce qu’il faut maintenant à l’homme de l’avenir c’est réconcilier l’homme avec ses cousins les singes, non pas en utilisant le singe pour des expériences inhumaines, cruelles, dignes seules d'êtres sans cœur ou de vivisecteurs, mais en prenant exemple par une observation attentive sur le singe, là où son enseignement nous apprendra à être un homme, en faisant d'une certaine façon de l'anthropologie animale, si j'ose dire, dans la mesure où  leur vie millénaire est fondée sur des codes riches d'enseignements  pour l’homme notamment en matière de nourriture où ils nous apprennent, avec les lémuriens et d'autres espèces proches de nous, à nous conduire enfin en hommes véritables ou à écouter le silence des origines….

 

 Oui, je crois que l'erreur humaine au sens du mot "errer", se perdre, s'éloigner d'un but, d'un objectif, donc avec le risque que l'on court à se "perdre", y compris un risque de "fin du monde" a été de faire croire, par des mots trop souvent mal employés ou employés par des menteurs ou des mots étant vraisemblables à certaines époques mais ne l'étant plus du tout aujourd'hui, à notre époque, que nous étions supérieurs aux autres espèces ou que nous avions le droit de vie ou de mort sur certaines espèces végétales pouvant souffrir d’être déracinées. Non, en vérité, à notre époque, ce n’est plus vrai et la technologie, l’aviation, etc… sont au service d’un monde qui pourra peut-être éliminer la cruauté chez les hommes en rendant certaines denrées enfin accessibles par le commerce mondiale. Donc le faire évoluer, lui faire accomplir sa métamorphose en un être qui peut devenir autre chose qu’un prédateur, car enfin civilisé et en permanence hostile à toute forme de prédation. L’homme peut donc heureusement sortir de sa condition de primitif. Je ne veux pas parler du tout de 'surhomme' ici, au non, loin de moi cette idée qui a été utilisé par des imposteurs pour tromper des ignorants trop crédules, non simplement d’une faculté que l’homme a toujours à sa disposition et qui est finalement la seule définition acceptable pour le mot "surhomme" : la naïveté, l’enfance… car c’est peut-être ici le paradoxe de l’enfance véritable, d’être le résultat de l’évolution, de s’être affranchie du primitif, donc de l’adulte au sens ou celui-ci a dégénéré vers la part maudite de l’homme, sa faculté à mentir, à maudire, à cultiver le mensonge, pour assouvir des égoïsmes, des instincts de prédateurs ou de dominateurs (qui n’ont jamais été les siens et dont il s’est affublé comme d’un horrible masque, lui collant à la peau, le faisant souffrir horriblement lui et les siens, avec son cortège de cigarettes, ou autres drogues inutiles qu’il croit à tort être des remèdes alors qu’ils sont des poisons et la négation de la vie. Cet adulte modèle carnivore, prédateur, menteur, peut-être aussi Don juan, etc… n’est pas l’homme, car c’est une parodie de l’homme, sans doute un homme s’étant trompé, un homme trompé par ses semblables, il s’agit de l’homme acteur, de l’homme voulant ressembler à une image de l’homme qui n’est pas l’homme, et je te recommande ici la statue de l’acteur se démasquant enfin, apprenant à être enfin lui-même, sans masque, qui se trouve à droite de la fontaine Médicis, au jardin du Luxembourg de Paris à ce sujet.

C’est en voulant tuer l’enfant en lui, sa faculté de s’émerveiller de toute chose que l’homme est devenu criminel. Or c’est bien l’enfance ou certains moments de la tendre enfance qui  sont le sommet de la création et si nous aimions Jean, l'un et l’autre, toi et moi, et tellement d’autres encore, c’est que Jean Rouch avait et savait cultiver l’enfant en lui ( «en faisant toujours bien attention, en caméléon, s'il le fallait, à tous ces hommes qui ont hélas, trois fois hélas, perdus momentanément ce goût et ce sens essentiel à tout avenir individuel, à toute création : «l’enfance».)

Donc, par une immense sagesse millénaire et un refus tacite de cette espèce (les singes), pourtant si semblable à nous autres hommes nous pouvons croire justement qu’en fait, ils sont là, ils ont réussi à survivre à toutes les oppressions humaines ou prédatrices (comme les lémuriens d’ailleurs) comme un signe (il ne faut pas ici lire un « singe » ! Et il m’apparaît évident ce soir que le mot « signe » provient ou cousine réellement avec le mot « singe » comme des jumeaux presque identiques d’une idée, d’un concept intrinsèquement indissociable signe-singe : , j’entends d’ailleurs ici un titre résonner en moi : « le signe du singe ! » ou « le singe signe ! » que l’on peut pour rire lire ‘le singe cygne !’ dans la mesure où celui-ci s’envolerait couvert de plume ou deviendrait blanc comme cygne), comme un enseignement instructif pour que les hommes cessent de se prendre pour ce qu’ils ne sont pas : des prédateurs, des carnivores, ce que les pseudos adultes ont cherché à nous faire croire pour des besoins d’argent, pour ne pas déplaire à leurs cousins les pêcheurs, les chasseurs ou les bûcherons, faisant fortune avec la complicité de ceux qui croient être du bon côté – donc des enfants ayant été dupés à leurs tour et mangeant avec la meilleurs conscience du monde ce qui est la part maudite de l’homme, le steak, ou autre viandes (comme tu le sais : « qui vol un œuf, vol un bœuf » (ce qui n’est heureusement pas toujours vrai, alors « qui mange un veau, peut tuer un homme » ce qui n’est pas toujours vrai puisque, si non, il y aurait beaucoup plus d’assassins d’hommes en circulation, en liberté.)

La principale intelligence des hommes et de la civilisation judéo-chrétienne c’est d’avoir remplacé le meurtre des hommes par le meurtre des animaux ou par le sacrifice de certains animaux. Mais au bout de quelques millénaires cette intelligence et cet attachement à cette coutume et/ou tradition maline risque de se transformer en erreur historique s’il elle refusait d’évoluer dans le même sens, un peu plus loin, en déplaçant cette interdiction, ce tabou édifiant, fondateur vers encore plus d’humanité, dans un sens vectoriel qui implique aussi, par logique et fidélité au judéo-christiannisme, (et à son apport civilisateur) plus de bonté encore, en sacrifiant, enfin, d’un commun accord, tous nos petits appétits égoïstes d’anciens prédateurs-chasseurs d’ères pré-Internet, ou près aviation intercontinentale, à un juste refus de la souffrance ou végétal quel quelle soit, et bien sûr humaine aussi.  

 

Le monde évolue et les traditions demeurent si elles s’avèrent justes et /ou nécessaires, conformes avec l’évolution en cours. Elles sont toujours balayées si elles n’ont plus d’utilité, de raison d’être et surtout si elles deviennent un danger pour l’humanité au sens où elles risqueraient de menacer le développement de l’Humanité dans l’univers à venir.  C’est de vouloir en rester là et de croire que l’on ne peut pas faire mieux en Occident, en prenant exemple sur certaines régions du monde où l’on a définitivement interdit de tuer les animaux en étant enfin conforme avec une certaine idée de l’homme qui peut-être nuisible à la longue pour la constitution de la civilisation. Il faut mettre un terme aux sacrifices des innocents animaux ou au sacrifice des végétaux car cela devient une nécessité vitale au sens d’un acte de l’homme pour l’homme étant universellement juste et fondé sur une notion tout compte faits juste de ce que peut-être le Cœur  ! C’est ainsi que tous pourront manger à leurs faims sur terre mais en fin (en faim) de façon juste et équitable ! Car si cela entache l’homme de continuer à être carnivore en le rendant totalement hypocrite avec certaine de ses lois ou en lui faisant perdre la raison ou la logique, le risque est  grave, et nous l’avons vu au cours du XXème siècle dans le si triste et si minable épisode du mensonger nazisme, de donner de la légitimité ou même un semblant de légitimité à l’homme de se comporter de façon ignoble envers les autres hommes puisqu’il est capable de manger des innocents animaux ou même de tuer de pauvres plantes bulbes en se rendant par cet acte contraire à l’homme contraire à l’Amour. Un droit que se sont attribué certains fous dangereux très ignorants, très méchants, qui ne peuvent plus appartenir au genre humain en tant qu’aspiration de l’homme à la non-violence et par la Vérité à changer les hommes dans un sens éthique ou que s’attribuent certains assassins, pour l’instant encore impunis pour la raison qu’ils ont perdu leurs capacités de réflexions étant aliénés, devenus autres ou en refusant à se conduire en Résultat de la civilisation dans ce qu’elle offre de positif ou d’Immense, de grand ou de Noble, c'est-à-dire en faisant ici le contraire de ce qui est exemplaire dans l’histoire de l’humanité, c'est-à-dire de tous ces instants où l’homme s’est montré véritablement noble et évidemment, s’en est navrant, car évidemment cette ignorance est fondée sur un faux principe, un malentendu historique ayant à mon avis trop duré fondé sur des traditions ou des coutumes aujourd'hui coupables, inacceptables.

Or ce n’est pas pensable, si l’homme doit continuer à être, il sera toujours contre la peine de mort, contre le meurtre de ses semblables même si ceux-ci sont coupables (il aura toujours à trouver des façons d’empêcher de les rendre nuisibles) et par conséquent aussi, par logique hégélienne, il sera contre le meurtre des animaux et des végétaux pouvant souffrir en mourrant, car l'une des qualités propres de l’homme est le respect de la vie et ce sentiment de logique et de justice qui l'anime, sa possibilité de compatir, de soulager la souffrance, de soigner, incompatible avec le meurtre ou avec le mal : c’est ce que nous pouvons observer naturellement chez un enfant courant embrasser sa mère ou son père quand ceux-ci souffrent ou sont affligés. Ce que nous devons nous poser comme question c’est pourquoi à partir d’un certain moment certaines personnes ne sont plus capable de cela ? Sans doute ont-elles étaient déçues et si nous connaissons les causes de cette déception nous pourrons soigner la personne en lui rendant ce sentiment humain qu’elle a perdu  pour des raisons liées au désamour, ou à un refus chez elle d’être un alchimiste ; c'est-à-dire de transformer le mal qu’on peut lui faire en sourire ou un enseignement pour renvoyer du bien. Mais on peut comprendre aussi qu’à la longue certains esprits puissent se lasser d’encaisser de l’Injustice autour d’eux et finissent par choisisr la révolte au lieu de faire le dos rond, d’encaisser les coups, et se déshumanisent en utilisant les mêmes méthodes que les bourreaux pour réagir à l’injustice commise à leur égard. L'homme n'est donc pas un monstre, puisque j’en fais ici la démonstration, et ce sentiment de bonté nous le retrouvons aussi chez un grand nombres d'animaux, même chez certains carnivores (qui ne le sont heureusement que momentanément dans le processus de l'évolution universel sur le long terme de la très grande Pyramide de toutes les pyramides humaines, animales et/ou végétales, en route en commun et en interaction, à chaque atome de seconde, en ce moment encore et pour infiniment de temps). Et nous nous en rendons compte aujourd'hui que les caméras ont accumulées pour nous tous ces merveilleux cadeaux que sont les images de ces documentaires sur ces espèces enrichissantes et exemplaires que sont, par de nombreux aspects, nos amis les singes, ayant acquis le droit d’écouter comme nous Mozart, Chopin, Rachmaninov ou même le Concerto pour l’Empereur, cette merveilleuse faculté du génie de l’homme ayant été accessible à certains êtres élus, tout à fait exceptionnelles où le génie humain rencontre d’une certaine façon enfin le génie de la nature, animal innocent, créant ici, pour les animaux comme pour les hommes ce terrain d’entente et de fraternité, d'universalisme orphéïque ou toute sauvagerie, toute pulsion primitive est terrassé, domptée, resculptée, dans cet ‘Agapè’ salvateur, prélude à cette paradisiaque Atlantide retrouvée, ce Walhalla wagnérien pouvant être enfin partagé sur terre de tout ceux qui admettront enfin que dans tout homme, il y a cet enfant permanent, continuel qui se cache sous les strates des années et que celui-là seul retrouvé peut accomplir des miracles en Résistant qu’il est de tout temps à ces pseudos adultes de pacotilles qui ne sont qu’une parodie de l’homme car ils ont perdus la possibilité de penser, de concevoir, d’inventer, de créer au profit de misérables complots, de misérables sentiments qui ne sont pas digne de la Création et qui n’en sont donc plus, hélas, trois fois hélas, ayant perdu la possibilité d’aimer ou d’être aimé ou de chercher à comprendre ce que peut-être ce mot en action (et je n’exclus pas ici le texte, qui est le prélude de l’action et qui est action au sens où il peut être le support des objectifs, le carnet de route et donner l’orientation…. Donc, même s’il y a beaucoup à apprendre du texte d’Amadou, c’est un texte qu’il faut lire avec beaucoup de prudence car s’il enseigne la prudence, il l’enseigne à des êtres qui cherchent à faire très attention pour réussir et/à dominer ou se servir d'autres hommes ou même en cherchant à les avaler comme des mouches ou de insectes que le caméléon piège pour s’en nourrir. Or je ne crois pas que ce soit un objectif bien glorieux que de chercher à dominer les autres hommes, à les asservir ou à les utiliser pour se développer soi-même. Je ne pense pas que cela soit très noble ou un objectif digne d’intérêt. L’homme n’est pas du tout intrinsèquement et essentiellement parlant un gourmand. Il le devient certainement si on le prive ou si on lui fait croire des mensonges. L’homme véritable est pacifique de nature et ne cherche noise au sens de Michel Serre (« Noise » de « noise « en anglais » chercher querelle, faire du bruit) avec personne, donc il déteste haïr et exècre naturellement tuer qui que ce soit ou quoi que ce soit. S’il s’abaisse à cela, il perd un peu de son humanité, il se déshumanise et il penche vers la cruauté, donc il sort de la communauté des hommes fréquentables, il est contraire à la civilisation qui est fondé et ne peut s’édifier que sur l’Amour. Tu sais ce que j’en pense, nous en avons parlé ce soir. Donc l’homme n’est pas un caméléon ou bien il le devient en position de faiblesse, car il a intérêt à se montrer conciliant et sa prudence est alors trop calculée, elle n’est pas une prudence naturelle, une prudence confiante de celui qui cherche à être lui-même et qui n'a rien à cacher. Si j’aime les caméléons, je sais qu’il faut s’en méfier car, ils cherchent à vous engluer dans leurs langues yo-yos pour mieux vous ruminer. Or il m’arrive d’être cigale-sauterelle confiante (mais aussi bien d’autres choses) comme tu le sais.

 

Donc, cher Philo, comme il est un peu tard, 6 heures du matin et que je veux ne pas trop te prendre de ton temps avec ce cadeau de courrierIn, voici le texte d'Amadou ci-dessous que j’ai numérisé et que je publie à la suite de ce courrierin (pour courrier Internet, variante du mot « courriel » que j’ai créé pour changer) et que je t’adresse en signe d'un singe qui a beaucoup aimé cette interview improvisée réalisée en ta compagnie ce soir autour de la bière et de l’orange pressée. Tu peux, si tu le veux t’en servir en copier/coller et l’envoyer à tes amis . Voici aussi un lien que tu peux copier et envoyer à tes amis pour leur offrir mon petit film que tu connais : Invitation aux premières diffusions de La momie à mioûots à la télévision sur le câble et le satellite sur TFJ au mois d'aôut 2004. Merci d’avance de le faire.

 

Cordialement,

 

 

Laury Granier

 

Ce soir, je m'aperçois qu'à la fin de ma lettre envoyée ce matin, j'ai oublié l'essentiel: le texte scanné d'Amadou...Tu peux le trouver maintenant ici : surprise :

Copie de mon courrierIn à Philo Bregstein

 

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Le texte dePhilo Bregstein

Jean Rouch

 

traduction Françoise Everaars avril 1998

Aventures de cinéma anthropologique avec Jean Rouch

   Le début des années soixante a vu sortir une série de films révolutionnaires qui ont influencé toute une génération de cinéastes: A bout de souffle de Godard, Shadows de Cassavetes et La Dolce vita de Fellini, mais aussi Chronique d'un été, que Jean Rouch réalisa avec le sociologue Edgar Morin: le premier film 16 mm avec caméra à la main et son synchrone qui permit à des acteurs non professionnels, grâce aux tout nouveaux micro­cravates, de parler et de se déplacer avec une totale liberté. Ce documentaire raconte l'histoire d'un été, celui de 1960, où plusieurs jeunes gens font connaissance, à Paris et sur la Côte d'Azur. Parmi les acteurs de ce film, on trouve, entre autres, Marceline Loridan, devenue plus tard l'épouse et la collaboratrice de Joris Ivens, et Régis Debray, futur confident de Che Guevara puis, plus tard, de Mitterrand. Le fil conducteur en était : « Est-ce que tu es heureux ? Comment tu te débrouilles, dans la vie ? » La première version du film avait une durée de quatre heures, ce qui était impensable à l'époque ; il n'existe plus actuellement qu'une version de quatre-vingt-dix minutes pour le cinéma. Les prises de vue permirent à Coutant d'essayer et de perfectionner le premier prototype d'une caméra portable 16 mm avec son synchrone. Ce fut le début de la caméra Eclair, utilisée maintenant dans le monde entier, puis de la caméra Aaton ou « le chat sur l'épaule », mise au point par l'inventeur Jean-Pierre Beauviala.

Le film Chronique d'un été fut aussitôt estampillé « cinéma-vérité », avec Jean Rouch pour père. Seul un cercle restreint d'initiés savait que ce film s'appuyait sur sa longue expérience acquise en Afrique. Il y filmait seul en tant qu'ethnologue travaillant pour le CNRS (Centre national de recherches scientifiques, Paris). Cette situation lui permettait d'échapper aux circuits commerciaux du cinéma, contrairement aux cinéastes de la Nouvelle Vague et présentait aussi certains avantages pour la réalisation : il pouvait travailler plusieurs années à un film, refaire les prises de vue, modifier le montage et organiser des projections pour les personnes filmées, afin de recueillir leurs commentaires et leurs critiques. Godard, qui voit en Rouch un important aiguillon de la Nouvelle Vague, disait: « Jean Rouch est chargé de recherches par le Musée de l'Homme, » reprenant la qualification officielle de son travail au CNRS. Rouch est toujours resté à l'affût d'innovations tant pour les concepts que pour les techniques cinématographiques.

Au cours des années soixante-dix, j'eus l'occasion d'interviewer des cinéastes « marginaux » comme Marguerite Duras, Eric Rohmer et Jean Eustache. De Jean Rouch, je ne connaissais alors que Chronique d'un été et je souhaitais voir ses autres films. Je me retrouvai Place du Trocadéro à Paris, au Musée de l'Homme, où il dirigeait le Comité du Film Ethnographique. Un modeste bureau encombré et désordonné, caché derrière une salle dont les vitrines regorgeaient de squelettes et de momies. On me conduisit jusqu'à une sorte de salle de projection bricolée avec des planches verticales faisant office de dossiers de chaise et, au plafond, des boîtes d'oeufs vides pour l'insonorisation: un monde souterrain dans tous les sens du terme. Je pus voir alors, outre les films anthropologiques de Rouch, ses films de fiction improvisés, comme Petit à petit et Cocorico, Monsieur Poulet: une révélation. Je découvris que Rouch, considéré comme le « père » du film anthropologique, était aussi novateur dans le domaine du cinéma en général. Il avait su réunir des courants divers, comme ceux de l'undergroundfilm américain, du Filmboard canadien et de l'anthropologie française moderne, qu'avaient développée Marcel Mauss, Claude Lévi-Strauss et Marcel Griaule.

Je demandai une interview à Jean Rouch et il me donna rendez-vous au Musée du Cinéma d'Henri Langlois. Ce dernier, le père de la Cinémathèque française, avait réuni une collection privée de costumes et d'accessoires des films d'Eisenstein, von Stroheim, Fellini et Bunuel, actuellement ouverte au public. Pendant que j'installais mon magnétophone, Rouch me montra des affiches des films de Dziga Vertov, cinéaste russe d'après la révolution de 1917, et de Robert Flaherty, documentariste américain qui, dès les années vingt, s'était retiré avec une famille d'Esquimaux dans un igloo où il développa son film, puis le montra à la famille de Nanouk pour recueillir leurs réactions. Ces deux maîtres avaient formé Rouch. Il me raconta son histoire personnelle: ingénieur des Ponts et Chaussées, il avait travaillé au Niger et avait fait connaissance pour la première fois avec les rituels de possession un jour où la foudre avait tué plusieurs cantonniers. Après la guerre, il avait tourné en Afrique ses premiers films avec une caméra à la main 16 mm qu'il avait trouvée dans un marché aux puces, parmi des surplus américains de l'armée. II avait fait des études d'ethnologie à Paris, avant de consacrer, au cours des décennies suivantes, une grande partie de son temps à filmer au Niger et au Mali. Il y découvrit les rituels de possession et le haut degré de civilisation des Dogons. Il parla des films de fiction qu'il improvisait avec ses amis africains et je réalisai qu'une série de découvertes m'attendait. Pour cela, il me fallait voir Rouch à l'oeuvre, et aller au Niger où, depuis trente ans, il passait la moitié de son temps.

Au printemps 1977, un mensuel hollandais m'offrit le vol pour Niamey, Niger, en échange d'une interview avec Rouch. Celui-ci me raconta plus tard combien il avait été surpris par mon désir de l'interviewer au Niger, alors que les journalistes se contentaient habituellement de le voir à Paris. Mais il réagit comme s'il s'agissait d'une banale rencontre à Paris, près de chez lui au café du coin, et on prit rendez-vous pour un petit déjeuner en avril 1977 à Niamey, à l'Institut de Recherches et Sciences Humaines qu'il avait contribué à fonder et où se trouvaient son logement et son lieu de travail nigérien. C'est ainsi que je fus initié au rituel du petit déjeuner africain de la « bande à Rouch ». Vu la chaleur torride qui régnait au Niger, huit heures moins le quart le matin était le moment le plus agréable de la journée. L'Institut avait été construit par des disciples de Le Corbusier selon la méthode locale traditionnelle, de plain-pied, en argile, matière bon marché et plus fraîche que le béton.

   Rouch était dans le jardin, avec ses amis Damouré, Lam et Tallou, vêtus de boubous traditionnels: c'est là qu'ils préparaient leurs projets chaque jour et qu'ils improvisaient leurs scénarios en s'amusant. Rouch faisait des films avec eux depuis plus de trente ans.

   Avec le soutien de Rouch, Damouré Zika avait suivi à Paris des études de pharmacie. Il dirigea la pharmacie de l'hôpital de Niamey jusqu'à sa retraite, et construisit par la suite un centre de soins dans son village près de Niamey. Il assure toujours une émission médicale hebdomadaire à la radio. Depuis trente ans, il participe à des recherches ethnologiques avec Rouch, enregistre le son de leurs films, intervient comme co-scénariste et acteur non seulement dans les films de Rouch, mais aussi dans les films de fiction réalisés au Niger. Lam Ibrahima Dia s'occupait d'aller chercher au fin fond de la brousse la farine, les poulets et autres provisions, et de les transporter jusqu'à Niamey. Les sommes que rapportaient les films qu'ils coproduisaient lui avaient permis d'acheter une Landrover pour son entreprise. Tallou Mouzowane est berger dans un village situé à 300 km de Niamey, Ayorou. Dans sa jeunesse, il a guéri de la lèpre après un long traitement, et avec l'aide de Rouch et de Tamouré. Il ne se contente pas d'être acteur et assistant, mais il crée la majeure partie de la musique des films de Rouch. Ensemble, ils personnifient la leçon du film anthropologique: attendre pour filmer de connaître la langue et les habitudes et d'avoir noué des liens d'amitié sur plusieurs années.

    Dès ce premier petit déjeuner, j'ai su qu'une interview de Rouch en compagnie de ses trois amis s'imposait. Mais à chaque fois je la proposais, on ne me donnait que des réponses évasives et pendant tout le séjour, je me suis demandé si j'y réussirais. Entre-temps, j'ai fait la rencontre d'autres amis africains de Rouch : Inoussa Ousseini, qui, dès l'école, avait été tellement impressionné par les films de Rouch sur le Niger qu'il avait décidé de devenir cinéaste. Après des études de sociologie en France, il avait réalisé, entre autres, un film sur l'exploitation des travailleurs immigrés africains en France: Paris c'est joli. II voyait en Rouch l'exemple de ce qu'il appelait « l'anthropologie de participation », un dialogue sur un pied d'égalité entre des Européens blancs et la population noire d'Afrique.

 

Oumarou Ganda, l'un des cinéastes africains les plus connus, me raconta comment il avait connu Rouch pendant les années cinquante, en tant qu'enquêteur. Dans Moi, un Noir il tint le rôle principal, celui de dokker à Accra, dans le Ghana actuel : ce fut le premier film qui montrait de l'intérieur la vie en Afrique. Le rôle était totalement improvisé et, au cours d'une projection, il en avait fait à haute voix un commentaire lui aussi improvisé. Imperturbable, il me raconta comment, réalisateur de films de fiction, il se trouvait être son propre producteur, avec des budgets minimes: le moins cher des films néerlandais à petit budget prenait, à côté, des allures de production hollywoodienne. Souvent, il jouait lui-même le rôle principal de ses films. Plein d'enthousiasme et la copie sous le bras, il parcourait le Niger d'un centre culturel à l'autre, car il n'y avait que trois cinémas dans tout le pays. Un certain nombre de mes idées reçues sur les nombreux aspects du sous-développement de l'Afrique fondirent comme neige au soleil. Je découvris la riche culture spirituelle de la société africaine.

La veille de mon départ, j'obtins enfin l'interview que j'avais demandée, réunissant Damouré, Lam, Tallou et Rouch. On m'avait observé, on avait mis ma patience à l'épreuve. Deux vieilles Volkswagen déglinguées nous transportèrent le long du majestueux fleuve Niger, par la plaine en dehors de Niamey jusqu'au village où Damouré avait construit sa maison d'argile. Sur le toit, au crépuscule, je les entendis tour à tour raconter leur histoire : le premier film, en 1951, sur la chasse à l'hippopotame, avec Damowé dans le rôle du chasseur et de l'assistant. Jaguar, où Lam et Damouré, par une marche de plusieurs mois, avaient « reproduit » les migrations à pied du Niger à la côte ghanéenne, de nouveau, ils avaient composé leur commentaire au cours de la projection. Ils me régalaient d'anecdotes, de légendes pleines d'humour, à propos des films de fiction qu'ils avaient improvisés ensemble: Petit à petit, Cocorico Monsieur Poulet et Babatou les trois conseils. Pendant que j'enregistrais l'interview sur mon magnétophone à cassettes, je me disais qu'il faudrait un jour la filmer.

 

A mon retour aux Pays-Bas, la télévision (NOS-Beeldspraak) réagit aux interviews avec enthousiasme. Le seul problème était l'absence de budget pour couvrir le voyage et le séjour d'une équipe cinématographique en Afrique. D'ailleurs Rouch, w son approche anthropologique, s'opposait à la venue de professionnels néerlandais, qui aurait été ressentis comme des intrus. L'IRSH de Niamey comportait un Département du cinéma, pourvu du matériel nécessaire et dont les cameramen et techniciens du son avaient été formés par Jean Rouch. Pourquoi ne pas s'en servir ? Inoussa Ousseini, alors directeur du Département, se déclara prêt à collaborer. ll se passa alors ce que, pour autant que je sache, aucune société de télévision au monde n'avait osé entreprendre: un film tourné sur place par une équipe nigérienne. Les prestations et les services devaient être payés à l'africaine, en nature, car les sommes d'argent ne parvenaient généralement pas jusqu'aux cinéastes et techniciens qui faisaient le travail - et ceci ne concernait pas que l'Afrique. Je devais apporter une valise pleine de boîtes de films pour les prises de vue, une autre pour le paiement en nature: elle a servi par la suite aux cinéastes nigériens. On pouvait me loger gratuitement à l'IRHS pendant plusieurs semaines. Au bout du compte, le budget du film ne dépassa pas celui d'une unique émission de télévision réalisée aux Pays-Bas. Seule la situation politique posait problème: depuis le coup d'état militaire de 1974, les dirigeants de l'ancien gouvernement de gauche se trouvaient soient en prison, soient en résidence surveillée, y compris Boubou Hama, ami intime de Rouch, ex­ministre de la Culture. II avait écrit le scénario du film historique Babatou les trois conseils, produit par l'IRSH et réalisé par Rouch et ses amis cette année-là au Niger. Le film fut interdit au Niger et dans les autres pays jusqu'à la mort du dictateur Kountché en 1987, parce que Boubou Hama en avait écrit le scénario et que le film avait une portée anti-militariste. Rouch, fidèle à son amitié pour Boubou Hama, lui rendit régulièrement visite en prison, ce que les autorités ne virent pas d'un très bon ceil, mais sa position d'anthropologue français le protégea. On décida donc de demander au ministère nigérien de la Culture une autorisation pour un film destiné à la télévision, portant sur le cinéma nigérien en général, et non sur Rouch. Ce changement devait enrichir le film, Rouch allait y prendre place au milieu du monde de ses amis africains, qui l'inspirait et qu'il avait inspiré.

 

Les prises de vue de décembre 1977 au Niger furent, conformément au style de Jean Rouch, totalement improvisées. Suivant le rythme africain, je m'habituai à attendre patiemment, jusqu'à ce qu'une activité filmique surgît après de longs jours de farniente. Ces périodes se montrèrent essentielles pour les contacts amicaux et enthousiastes qui allaient donner au film sa tonalité et sa couleur. Rouch participait au tournage des impressions de Niamey, avec ses maisons d'argile et ses marchés, et du paysage plat, vide et infini. Pendant le dîner, il raconta ses expériences cinématographiques au Niger, dont son célèbre film de 1953 Les maîtres fous, qui traitait des rituels de possession: il disait avoir découvert peu à peu à quel point ces rituels africains formaient un élément central de la culture de ce continent. L'influence européenne n'avait pas réussi à les faire disparaître, et l'indépendance des états africains leur permettait de revivre. La psychiatrie moderne leur a découvert une vertu thérapeutique et les cliniques du Sénégal et d'ailleurs essayent de les intégrer dans leurs traitements.

 

Mon rêve d'une nouvelle interview, filmée cette fois, semble enfin se réaliser et, sur le toit de la maison de Damouré, Rouch est là en compagnie de celui-ci, de Lam et Tallou ; ce dernier est saisi d'une attaque de possession au moment où Rouch raconte avoir déjà vécu ce même phénomène après le tournage des Maîtres fous. Djingarei Maiga filme de façon sublime la scène de panique chaotique, même le meilleur cameraman d'Europe n'aurait pu l'égaler : il sait ce qui se passe et comprend ce qui se dit.

Maintenant, vingt ans plus tard, à l'heure où la situation de nombreux pays africains paraît  sans issue, le centre cinématographique fondé par Rouch est à l'abandon sous le sable et la poussière. Le film nigérien est bloqué depuis des décennies. Le soutien financier venant de France et d'autres pays occidentaux riches a disparu, le réalisme économique l'a emporté partout. Oumarou Ganda est mort prématurément d'une crise cardiaque en 1980. Djingarei Maïga, cameraman et cinéaste, a été renvoyé de l'IRSH et a dû se reconvertir au métier de tailleur, tout en continuant à faire ses films seul. Moustafa Alassane, reconnu à l'échelle internationale comme l'un des cinéastes africains les plus originaux, s'est retiré dans un petit village de la brousse, pour y bricoler les trucages de ses films. Rouch lui-même s'est limité de plus en plus à son enseignement sur le cinéma dans le cadre de l'Université de Nanterre et à d'autres projets de films extérieurs au Niger. Ses films africains les plus importants des années soixante-dix, sur les rituels des Dogons, ont été tournés au Mali en compagnie de l'anthropologue Germaine Dieterlein, disciple de Marcel Mauss et Marcel Griaule.

Pourtant il y eut une suite au portrait filmé que je fis de Rouch et de ses amis africains ce fut le point de départ d'une longue amitié. En 1984, à Paris, alors que Rouch tournait le film Dionysos qu'il avait préparé depuis longtemps, il me proposa de jouer Nietzsche, personnage d'arrière-plan, dans une courte scène du film. Maquillé, transformé en Nietzsche avec cape et moustache, je déclamais un passage du Gai savoir, circulant dans un décor, copie d'un tableau de De Chirico. Le film fut, à mon avis, un échec partiel, malgré la thématique intéressante de Rouch : l'irruption du culte de Dyonisos dans la société industrielle européenne. Pour la première fois de sa vie, Rouch disposait d'un budget important, grâce au ministre de la Culture d'alors, Jack Lang. Cela lui permit, à un moment où la situation nigérienne était bloquée, de faire venir ses amis africains à Paris. Mais ce qu'il avait conçu comme une grande fête improvisée resta bloqué dans le carcan d'une production professionnelle rigide à laquelle il n'était pas habitué et qu'il lui était difficile de gérer.

 

Dans le projet suivant, il retrouva le « maigre budget » de ses films africains et, du même coup, son style. S'associant avec une équipe de cinéastes turinois, il tourna en 1986 Enigma, serai documentaire ludique et fantasque sur la ville de Turin. Ce fut pour moi une nouvelle aventure avec Rouch : je devins « Philo », l'acteur affublé d'un chapeau et d'un parapluie, traînant un sac bourré de livres, citant Friedrich Nietzsche, cherchant partout ce philosophe qui avait écrit ses dernières oeuvres dans cette ville. Je vivais dans mon propre corps la « ciné-transe » de Rouch : au petit déjeuner et au dîner, nous discutions ensemble le scénario du jour suivant. Nous jouions des situations que nous préparions peu et répétions encore moins, nous improvisions les dialogues. Chaque scène était filmée une seule fois, la caméra à la main, en plans-séquences, comme Rouch avait coutume de le faire pour ses documentaires. II n'y avait pas de deuxième prise. Je me rendis compte que ce n'était pas seulement la conséquence du « maigre budget », mais aussi de la mentalité « Nouvelle vague » du cinéaste Jean Rouch (Jean Eustache a filmé de la même manière son célèbre La Maman et la Putain). J'éprouvai les tensions du tournage unique: « Ça marche ou ça ne marche pas. » Et je commençai enfin à comprendre un peu la magie de l'enchanteur Rouch. D'observateur, j'étais devenu partenaire de cette aventure.

Juillet 1991 marqua une nouvelle phase de mes expériences avec Rouch. Après avoir rêvé des années à la réalisation d'un film en partie aux Pays-Bas, en partie au Niger, l'équipe Da-La-Rou-Ta (Damouré Zika, Lam Ibrahima Dia, Jean Rouch et Tallou Mouzourane) arriva en Hollande. Cette fois, Jean Rouch et moi avions écrit ensemble le scénario qui n'en était pas un: nous étions en fait des « scénaristes-improvisateurs ». Dans ce film - Madame l Eau - comme dans la réalité, j'allais aider mes amis africains à observer les moulins hollandais pour la mise en place éventuelle de l'irrigation de leurs champs le long du Niger. A première vue, la bande de Rouch parut partir à la conquête des Pays-Bas. L'Institut Néerlandais du Film (NFI) était producteur du film, le Fonds Néerlandais du Film apportait son soutien ainsi que la Télévision néerlandaise (IKON), la BBC et la Télévision française. A Amsterdam, on programma une rétrospective des films de l'équipe Da-La-Rou-Ta. Au cours de la présentation, Jean Rouch, âgé alors de 74 ans et doté d'une inépuisable énergie, parla de leur manière de travailler ensemble et, entre autres, de la façon dont ils partageaient tous les gains de leurs films. Avec beaucoup d'humour, Damouré, Lam, et Tallou exposèrent leur vision de Rouch, filmés par les anthropologues Dirk Nijland, Steef Meijknecht et Joost Verheij qui en tirèrent un documentaire : La Bande de Rouch.

Pourtant, la « bande à Rouch » rencontrait peu d'écho dans la presse et à la télévision néerlandaises. Ses films étaient non seulement mal connus des critiques néerlandais, mais aussi mal aimés. « Vieux jeu », avait dû lancer un journaliste connu, pour justifier son désintérêt. J'avais déjà entendu cet argument vingt ans plus tôt quand, en 1976, j'avais proposé en vain à la VPRO (chaîne de télévision de qualité) de faire un portrait filmé de Jean Rouch. Et quand mon portrait filmé pour la NOS passa à la télévision en 1978, certains journalistes écrivirent que « Rouch était certes intéressant en tant que promoteur du film africain, mais rien de plus. »

 

Ce qui fait la tragédie du cinéma africain, c'est qu'il a du mal à s'épanouir, malgré son grand potentiel. Les films africains ne passent presque jamais dans les pays où ils ont été créés, ni en Europe. En Afrique, la production et la distribution sont dans les mains des Américains et Européens qui y écoulent leurs films de série B. Les cinéastes africains ont peu de chances de développer un style authentique et personnel en dehors de quelques cinéastes qui, dans des cas exceptionnels, sont parvenus à réaliser librement leurs films, nourris de leur culture africaine propre. Le cinéaste nigérien Inoussa Ousseini affirme que le film africain devrait se libérer de l'influence européenne et trouver son propre langage, fondé sur la tradition orale. D'après Ousseini, les films de Rouch expriment justement de façon étonnante la perception du temps et le rythme de vie africains; leur authenticité n'a rien d'étonnant si l'on songe que le jeu des acteurs, le style des prises de vue, le rythme du film et le montage ont été en grande partie déterminés par Damouré, Lam et Tallou, les co-auteurs africains des films de Jean Rouch.

« Vieux jeu », pour les cinéastes professionnels, s'applique aussi à la préférence ludique de Rouch pour le bricolage et l'amateurisme. Dans le monde du cinéma, il s'est toujours montré marginal et récalcitrant, ce qui l'a fait considérer par Godard comme un pionnier de la Nouvelle Vague. Sur le plan technique comme sur le plan esthétique, c'est un grand professionnel, mais il opte volontairement pour une « approche d'amateur ». Cette façon de filmer a été considérée comme novatrice au temps du triomphe de Godard et Cassavetes, mais maintenant les normes « professionnelles » ont retrouvé leur préséance et on parle avec mépris de mouvements trop flottants de la caméra et d'un son trop bricolé. Le film-passion, le film­aventure, le film vrai et vivant, pour lequel Joris Ivens et la Ligue du film écrivirent leur Manifeste en 1927, a toujours été « vieux jeu » dans le monde du film et du téléfilm professionnels, et il l'est resté. Par conséquent, seuls de petits cercles d'amateurs connaissent les films de Rouch, et ceux d'Ivens, Leacock et Cassavetes. En 1965, La Chasse au lion à l'arc, qui présente une tradition africaine maintenant disparue, remporta le Lion d'Or au Festival de Venise, il. Jean Rouch avait travaillé sept ans à ce documentaire qui, s'il est célèbre, n'a été vu que par un petit nombre de personnes. La méthode de Rouch a ses avantages, mais aussi ses inconvénients : ses films restent en dehors des circuits officiels de distribution et sont inconnus du grand public, y compris les classiques du Septième art Moi un Noir et Jaguar.

 

Le double rôle de Rouch, à la fois cinéaste et anthropologue, a aussi suscité la méfiance habituelle: dans le monde scientifique, on ne prend pas au sérieux son approche ludique ; pour le monde du cinéma, c'est un cinéaste trop marginal. Il filme lui-même, avec une caméra à la main et une petite équipe, ses amis intimes de préférence, et rejette le matériel lourd. Il peut ainsi tourner ses films sans ingérence, en toute intimité ; sa conception du feedback auquel participent les acteurs, en particulier pendant le montage, permet de bien interpréter les images du film mais demande parfois des années. Un cumul de sacrilèges pour tout producteur professionnel de films ou tout responsable de télévision.

 

Une autre critique faite à Rouch émane des idéologies de gauche des années soixante. Rouch « n'était pas suffisamment à gauche, » il n'a pas pris part au combat politique. Les milieux militants de France ou d'Afrique (dont l'auteur-cinéaste sénégalais Sembene Ousmane) lui ont longtemps reproché son refus de prendre parti contre l'impérialisme et le néo­colonialisme occidentaux. Rouch, fort de ses connaissances anthropologiques, s'est toujours élevé contre l'exportation en Afrique de solutions miracles qui, d'après lui, ne convenaient pas aux modes de vie complexes de ce continent. Depuis l'indépendance des états africains, Rouch s'est volontairement contenté de filmer les anciennes traditions. Alors que Les Maîtres fous (1954) et Moi, un Noir (1958) avaient été des films révolutionnaires, on a souvent considéré Rouch, par la suite, comme un amateur colonial de rituels africains. Quand Rouch obtint à Leyde son doctorat honoris causa, en 1980, le cinéaste néerlandais Ate de Jong, devenu depuis adepte d'Hollywood, l'attaqua dans un article du journal Het Parool, le considérant comme un faiseur d'images folkloriques, indigne même de se tenir dans l'ombre de Joris Ivens, notre militant politique et héros national néerlandais qui aurait dû, lui, obtenir cette distinction. Justement, Rouch, pour accepter cet honneur, avait posé comme condition à l'Université de Leyde qu'elle lui permette de faire un portrait filmé d'Ivens, son maître et son ami. Ce fut Cinemafia, produit par l'Institut d'anthropologie culturelle de l'Université de Leyde. II tourna en un après-midi un plan-séquence d'Ivens et Henri Storck - co-réalisateur d'Ivens en 1934 dans le célèbre film Borinage - à Katwijk aan Zee, où Ivens avait réalisé Branding, son premier film de fiction. On ne pouvait bien sûr pas prévoir qu'Ivens, plus tard, serait accusé d'opportunisme sur le plan politique et de complicité avec les méfaits staliniens et maoïstes : après l'avoir idéalisé de façon tendancieuse, on le déprécie maintenant d'une façon tout aussi tendancieuse.

 

En 1980, au cours d'un séminaire qui se tint à Noordwijk et fut consacré à Jean Rouch, on lui demanda sur un ton inquisitorial : « Alors, vous êtes de gauche ou de droite ? » Depuis, de nombreux slogans de gauche ont suivi dans sa chute le mur de Berlin. Le temps a donné raison à Rouch. Après la mort du dictateur Kountché, Niamey lui a fait l'honneur d'une grande rétrospective, et a mis en relief son rôle dans la préservation de l'héritage culturel du Niger : les vieux rituels de possession, la chasse à l'hippopotame au harpon et la chasse au lion à l'arc ont aujourd'hui disparu.

Un thème important de Madame lEau, de Rouch, est sa vision à contre-courant de l'aide au développement. Au Niger, où il avait commencé comme ingénieur des Ponts et Chaussées, il critiqua d'emblée l'aide apportée par l'Europe occidentale, et les nouveaux états africains qui gaspillaient leur budget en haute technologie américaine et européenne. Il baptisait « cadeaux empoisonnés » les projets d'aide au développement pour l'Afrique et s'élevait contre les envois caritatifs de nourriture ou le financement d'équipements coûteux que personne sur place ne pouvait réparer ni entretenir. Une grande partie de ce qu'on appelle aide au développement représente, d'après Rouch, un impérialisme amélioré, où les « bienfaiteurs » se soucient comme d'une guigne de la culture et des modes de vie propres à l'Afrique, et ils voient la population, dans le meilleur des cas, comme des êtres sous-développés et pitoyables. Rouch, au contraire, estime que l'art de vivre africain et ses traditions artisanales surpassent souvent ce qu'ont à offrir les états-providence occidentaux, et qu'ils auraient beaucoup à nous apprendre.

Madame l'Eau défend les projets d'aide au développement quand ils sont modestes et bon marché ; aux Pays-Bas, au cours d'une période récente, plus idéaliste, on a développé certaines expériences en laboratoire, par exemple avec l'énergie éolienne. Malheureusement le réalisme économique dominant conduit à stopper les subventions accordées à ces expériences. L'ingénieur Frans Brughuis que l'on voit, dans le film, aider à construire un moulin, a travaillé quinze ans à l'Institut de Technologie d'Enschede pour adapter un moulin crétois à l'irrigation africaine. Bien sûr, l'énergie éolienne est « vieux jeu » car l'avenir, c'est l'énergie solaire. Mais Madame l Eau est la métaphore d'une forme d'aide au développement où le monde occidental aide les pays du tiers-monde à trouver des solutions simples et abordables, susceptibles d'être intégrées à la culture du pays, avec la possibilité de faire soi­même les réparations sur place, avec son propre matériel et à peu de frais. Le pont que Rouch a tenté de jeter, par son film, entre rêve et action, n'a pas reçu un accueil favorable aux Pays­Bas : la demande de subsides pour un projet permettant de tester le moulin à vent au Niger pendant une période de trois ans fut rejetée par le gouvernement néerlandais.

En tant qu'ami et complice, j'ai eu la chance de faire de nouvelles découvertes sur la façon de filmer propre à Rouch. La phase de montage m'a permis de découvrir que, dans ce domaine aussi, il était bien plus grand bricoleur que je n'avais soupçonné. On décrit souvent Rouch comme un cinéaste qui considère la prise de vue comme essentielle, il parle souvent de « montage dans la caméra » et de prises de vue en plans-séquences où la scène entière est filmée en plan continu. Certains exemples sont célèbres, comme la scène de Gare du Nord (1965), filmée en deux prises de vue, et celle du rituel de possession de Toutou et Biti (1967), en une seule. Pourtant, même dans ces films, le rôle du montage s'est avéré important. J'ai pu être témoin personnellement du temps infini qu'il y a consacré pour Madame l'Eau. Les plans­séquences montés dans un ordre chaque fois différent ont été testés et retestés au cours des projections à l'essai, en présence des intéressés, un long et fascinant travail de feedback. Rouch voulait comprendre tout ce qui se passait, tout ce qui était dit et chanté, il demandait des explications à tous les personnages filmés. Dans ce but, il organisait lui-même des projections destinées aux acteurs au cours de ses visites régulières à Niamey. Le montage de Rouch, qu'on disait désinvolte, était en réalité, comme sa manière de filmer, mûrement réfléchi. Chaque son, chaque fragment musical, la moindre coupure, étaient appréciés avec soin pour obtenir un effet de style déterminé.

Ceci confirme l'analyse que le philosophe Gilles Deleuze donne de Rouch dans L'image-temps (1985). Deleuze le compte parmi les inventeurs de l'art cinématographique, et considère que ce cinéaste, reconnu comme le père du cinéma-vérité, appartient en fait au monde d'Orson Welles et de John Cassavetes, qui expriment « la puissance du faux », le pouvoir des apparences, la falsification, la transformation (une idée inspirée par la « volonté de puissance » de Nietzsche). Deleuze cite Godard qui applique à Rouch la formule « Je est un autre » : « Ceci ne s'applique pas seulement aux personnages, mais aussi au cinéaste. Alors qu'il est blanc, il déclare comme Rimbaud : `Je est un autre', ce qui veut dire : Moi, un Noir » (titre de l'un de ses films les plus forts.

Mes expériences avec Madame l'Eau m'ont aidé à découvrir les secrets de« puissance du faux ». J'ai reconnu le cinéaste Rouch en tant qu'inventeur mélangeant le documentaire et la fiction, l'authentique et l'inauthentique ; « enregistreur », à l'aide d'une caméra, d'événements réels, il les transforme en fables grâce à l'alchimie du montage. Ses amis Damouré, Lam et Tallou jouent apparemment leur propre rôle, à grand renfort de clowneries burlesques. En fait, ils incarnent, comme dans la commedia dell'arte, des personnages mythiques issus de la transmission orale des légendes africaines, que les griots chantent depuis toujours.

Philo Bregstein

traduit du néerlandais par Françoise Everaars.

 


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Révision : 30 avril 2005