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" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique. 

Genèse d’un film.

 

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VI. 2. Que reste t-il de mes intentions de départ?

Je rappelle que l’idée de réaliser La momie à mi-mots a surgi, à un moment où j’avais abandonné tout espoir de faire du cinéma et de réaliser mes rêves dans ce domaine, et où je voulais me consacrer exclusivement à la peinture.

J’ai accepté d’écrire ce scénario, car je voulais consacrer du temps à une tâche qui fut noble. Je pense comme Claude Beylie : "Je n’ai jamais cru aux vertus d’un art qui dénonce ou qui rabaisse, mais davantage à celui qui magnifie, élève l’âme du spectateur, le rend meilleur".160 Je crois que si on relit aujourd’hui la note d’intention 161 jointe à la première version du scénario, on pourra constater que j’ai réalisé La momie à mi-mots, en gardant toujours ce texte présent à l’esprit, et en consacrant toute mon énergie à le traduire, du mieux que j’ai pu, sous la forme de ce film.

Je crois que La momie à mi-mots illustre finalement fidèlement le dessein et les propos de cette note d’intentions. Elle est conforme, sous sa forme achevée, à mon objectif initial du moins dans ses traits essentiels.

Même si le scénario a été modifié à de nombreuses reprises, si le tournage du film a lui-même exigé d’importantes modifications supplémentaires, et si des scènes imprévues ont finalement été tournées, tous ces changements n’ont eu d’autre but que de permettre une meilleure concrétisation de mes propos et de mon projet de départ. Le film a tenu son cap: la réalisation, à travers une histoire, de cette note d’intention.

Bien entendu et fort heureusement, il ne s’est pas limité à cela. Il est sans doute, comme toute oeuvre d’art, un prisme de réflexions, dans toutes sortes de domaines. Je n’imaginais pas, en l’entreprenant, qu’il constituerait la matrice des différentes réflexions sur le cinéma, que j’ai pu exposer dans le cadre de ce travail.

Certes, les intentions de départ ont été respectées. Mais je ne pouvais pas prévoir qu’elles seraient si longues à être réalisées, et que je devrais passer pour cela par l’apprentissage d’une trentaine d’activités différentes.

Je n’imaginais pas non plus que la réalisation de ce film me pousserait à repenser et à tenter d’inventer le cinéma d’une façon aussi personnelle, à travers un tournage assez original, sur une année et demie, et un montage en plusieurs épisodes, dont le dernier tient plus du domaine du cinéma expérimental que d’une façon traditionnelle de procéder.

Je ne savais pas, en commençant ce travail, ce que j’ai découvert en le terminant: chaque film, s’il est poussé au maximum de lui-même, comporte une durée qui lui est propre, un rythme, une musique et une poésie intrinsèque et originale.

Il est difficile de proposer une théorie sur le cinéma, mais en revanche, on peut analyser et faire part de l’expérience qu’on a faite, à travers la réalisation d’un film.

Tout film est différent, comme tout être vivant est différent.

Les expériences que j’ai faites, à travers ce film, m’ont permis aussi de prendre conscience de certaines épreuves, que je ne veux plus avoir à affronter dans l’avenir.

Par contre, je suis sûr que, s’il m’est donné de refaire un film, ce que j’ai appris par ce film est inoubliable, et que le nouveau film en bénéficiera.

Mon ambition de départ était de faire un petit signe, à travers La momie à mi-mots. Je voulais qu’il puisse redonner courage aux personnes qui cherchent le chemin de la vie et de la lumière: même au plus profond du découragement, en proie aux hallucinations les plus diverses, il existe un chemin vers la lumière et le rétablissement. Celui-ci est possible grâce à tous, grâce à la société dans son ensemble. Je voulais passer, absolument, par la poésie et le merveilleux, pour suggérer, à mi-mots, un message de cette importance.

Je crois en effet, comme Orson Welles, que le cinéma a pour objectif, dans tous les sens de ce terme, la poésie:

"Je considère un film comme un moyen poétique. Je ne crois pas qu’il rivalise avec la peinture ou la chorégraphie, mais que son côté visuel est seulement une clé donnant accès à sa poésie. Il ne se justifie pas en lui-même (...) Il ne signifie rien, à moins de rendre la poésie possible. Mais la difficulté vient de ce que la poésie suggère des choses absentes, évoque davantage que ce que vous voyez. Et le danger au cinéma, c’est qu’en utilisant une caméra, vous voyez tout, tout est là. Ce qu’il faut faire, c’est arriver à évoquer, à faire affleurer des choses, qui en fait, ne sont pas visibles, à opérer un enchantement." 162

La technique cinématographique permet de juxtaposer des images les unes à la suite des autres, de la même façon que la poésie, dont j’aime le caractère elliptique.

Mon projet dans La momie à mi-mots, est de donner à voir l’évidence d’un conte poétique, musical, dansé, au cinéma.

J’espère avoir réussi ce petit défi que je me suis posé à moi-même: l’invention d’un rituel dans un jardin imaginaire, composé à partir de plusieurs jardins, dans Paris, pour exorciser, à travers la musique et la danse, la peur de vivre, de faire partie de la communauté des hommes, qui cherchent à réinventer le monde, à l’améliorer sans cesse, pour les générations à venir. Carolyn, à la fin du film, sait qu’elle doit désormais être une sorte de guide spirituel pour les générations à venir.

Je dois encore dire, comme ce film m’a aidé à mûrir, et comme je me sens maintenant capable, comme mon héroïne, de transmettre à mon tour aux plus jeunes un peu de mon expérience, que j’ai acquise aussi grâce à cette thèse.

Revenir à la vie, ressusciter, c’est possible, non seulement au cinéma, où l’on peut faire semblant de faire le mort, dans une séquence, et ressusciter dans la suivante; mais c’est possible aussi, pour celui qui le souhaite ardemment, dans sa vie quotidienne. Pour cela il faut le vouloir vraiment et bien s’entourer.

Certes le personnage, que Carolyn incarne, passe par de terribles moments de souffrances, mais à la fin, c’est l’espoir et la joie qui triomphent.

À travers une approche poétique, onirique et elliptique, le film est une réflexion, sous la forme d’une fiction, sur une initiation. Sera-t-il compris comme je l’ai conçu? Qui sait? En tout cas, j’espère que ce film donnera matière à discussion non seulement sur l’histoire racontée - qui est, au demeurant, commune - mais aussi sur la façon, la forme, les chemins, que j’ai empruntés et découverts à mesure, qu’avançait la réalisation de La momie à mi-mots.

J’espère que chaque spectateur comprendra le film à sa manière (car chacun est différent); le sens de ce film sera finalement constitué de l’ensemble des réflexions de chaque spectateur.

Il existera peut-être autant de Momie à mi-mots que de spectateurs.

Il n’y a pas un film, mais pour ainsi dire, autant de films du même film, que de spectateurs: chacun se fera son film à partir des images d’autant plus qu’il n’y a ici aucune trame verbale sous la forme de dialogues. Chacun finalement fera un nouveau montage dans sa tête, et cela constituera la mémoire qu’il aura du film, de la même façon que chacun regarde, et se souvient de la rue ou d’une chambre, d’une façon différente.

Là encore, Orson Welles nous éclaire:

"J’espère que certains verront tels détails et certains autres, des détails différents. Si tout est clair, précis, le film risque d’être bien mince (...) Je pense qu’un film doit être plein de choses, de détails qu’on ne voit pas la première fois. Il ne doit pas être entièrement évident." 163

J’espère seulement que le petit signe, que j’ai voulu réaliser à travers La momie à mi-mots, sera du moins compris dans ses grandes lignes, et qu’il saura toucher quelques personnes. Alors, si des associations d’images et de sons provoquent chez d’autres spectateurs des émotions comparables à celles que j’ai moi-même ressenties, en les faisant surgir par mon expérience, je pourrai me dire que le travail de ces sept dernières années n’a pas été vain. L’art consiste peut-être à faire naître une émotion et à ouvrir le spectateur à l’immense beauté du monde, qui est à redécouvrir à chaque instant.

Je viens de relire Les cigares du Pharaon164 d’Hergé, je suis très heureux de suivre l’aventure de Tintin, dans le tombeau du Pharaon Kih-Oskh. Enfermé, il y découvre momifiés tous les savants qui ont violé la sépulture du Pharaon, et enfin trois sarcophages prévus pour le professeur Siclone, pour Milou et pour lui-même. Ce moment est tout a fait angoissant pour Tintin, comme pour le lecteur qui s’identifie, bien évidemment à ce jeune reporter. Soudain un narcotique violent se répand par les orifices d’aération dans la chambre sépulcrale, où il se trouve. Sous l’effet de cette drogue Tintin se met alors à délirer: il s’imagine bientôt momifié par des êtres étranges, à tête de chien et placé par des mains invisibles, dans les sarcophages qu’il a aperçus précédemment. Mais à la page suivante, il se réveille en pleine mer, à l’intérieur d’un sarcophage. On assiste donc porté par les vagues, à la résurrection de Tintin, de Milou et du professeur Siclone, qui n’avaient été qu’endormis.

Il n’est pas impossible que cette lecture, ainsi que la lecture du Temple du Soleil du même Hergé, dont j’ai déjà parlé, plus haut, m’aient impressionné dans mon enfance et qu’elles aient influencé, peut-être de façon inconsciente, l’écriture de mon scénario. Mais comme je l’ai indiqué, dans ma première partie, plus qu’avec des souvenirs de lecture, ce film a été fait à partir des expériences vécues et en particulier de voyages que j’ai fait (découverte des momies péruviennes). Je suis ainsi moi-même la matière de mon film!

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160 Claude Beylie: Le plaisir du film, éditions Papiers, 1986, p.13.

161 Se reporter à la note d’intention située en première partie et en annexes.

162 Orson Welles, entretien de mai 1966 avec Jan Cobos et Miguel Rubio in Orson Welles in Les Cahiers du Cinéma, hors série n°12, 1982, page 42.

163 ibid, page 43.

164 Hergé, Les aventures de Tintin, Les cigares du Pharaon, Casterman 1983, pages 7 à 9, et page 11 et suivantes.

 



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Révision : 11 avril 2003