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à
Monsieur le Maire de Paris
Monsieur Tibéri
Mairie de Paris

Paris le 01/10/95

Monsieur le Maire de Paris,

Suite à notre rencontre, lors de l'inauguration de notre place du Val de Grâce, dans le cinquième arrondissement de Paris, vous m’avez proposé de vous écrire, pour vous faire part des suggestions que je vous ai faites oralement, afin d'améliorer notre vie quotidienne parisienne et d'embellir notre capitale. 

C'est avec plaisir que je vous écris.

Je vous rappelle que je suis cinéaste et peintre, et que je termine en ce moment un film, dans lequel Carolyn Carlson joue le premier rôle, et qui a vu la participation de Philippe Léotard, ainsi que celle de Jean Rouch. C'est un film que j'ai tourné, en partie aussi, grâce à l'aide de la Mairie de Paris, qui m'a soutenu dans ce projet et que j'ai réalisé pour la majeure partie dans les jardins de la capitale, en faisant, grâce à la magie du cinéma, de plusieurs jardins parisiens, un seul et même jardin. 

Ce film a pour thème la victoire des forces de vie sur celle de la dépression et de la mort, et il est soutenu par la danse et la musique qui ont une vocation universelle. Comme je vous l'ai dit, je serai heureux de vous inviter, lors de l'avant-première, qui aura lieu au début de l'année 96. 

Voici les quelques idées auxquels je vous propose de réfléchir:

- Amélioration de la Place du Val de Grâce:
Cette place monumentale doit redevenir l'un des centres de Paris. La rénovation de l'église, du cloître, ainsi que celle concernant les appartements des Médicis, rouverts au public, vont sans doute drainer, dans l'avenir un flot considérable de touristes. 

Mon ambition est que cette place attire les touristes, un peu comme celle des Invalides.

Il est, dans un premier temps, heureux d'avoir réussi à aboutir à la construction de ces fontaines, et je vous en remercie, bien que celles-ci soient à mon goût, plus en rapport avec les deux édifices d'angle de la place, les dépendances, et moins en rapport avec la majesté de l'édifice.


Le seizième siècle avait vu grand, il aurait été de notre devoir de rendre hommage à ce siècle, en faisant des fontaines plus en rapport avec l'élégance et la noblesse de cette grande église, et non en rapport avec les dépendances. Situées en face de l’église, c’est à l’église qu’elles devaient s’adresser.


Permettez-moi de vous rappeler les très belles fontaines de la Place Saint-Sulpice, qui, elles, ne se moquent pas de l'édifice auquel elles font face. En ces temps là, on prenait le temps de réfléchir. La création d'une fontaine était l'occasion de manifester le génie de l'homme, et sans doute, fort de l'exemple de Rome et des Papes romains qui ont véritablement embelli leur ville, au cours des siècles, en construisant les fontaines, les architectes de la fontaine de la Place Saint-Sulpice ont su être à bonne école, et créer ce qu'il fallait pour que la grandeur du génie humain fut encore une fois manifestée, comme un signe d’encouragement au passant de cette place. Rien n'est plus beau que les constructions réalisées avec goût. 


Les passants y tirent souvent un regain d'intérêt pour la vie souvent difficile, un surcroît d'énergie dans leur travail quotidien. Les autorités d’une ville se doivent, quand ils le peuvent, de savoir créer des lieux de méditation ouverts à l'esprit


Maintenant que les travaux ont été heureusement faits, dans le sens d'un véritable désir d'amélioration du paysage urbain, il est tout a fait envisageable, qu'un jour ou l'autre, dans l’avenir, d'autres fontaines (de véritables oeuvres d'art) prennent place, à la place de celles-ci, trop rapidement conçues, en ce lieu d'architecture, message de la grandeur des rêves de nos ancêtres, et soient ainsi de véritables hommages à l’édifice.


Comme je vous l'ai dit, l'amélioration de cette place parisienne doit aller dans le sens d'une restructuration complète de l'espace, pour donner tout son sens aux travaux déjà effectués.


La place, c'est aussi ce qui est sensé rassembler autour d'un nouveau foyer: la fontaine, à ciel ouvert, est l'ersatz du foyer de la cheminée dans les anciennes demeures. La fontaine a, comme le feu de cheminée, le privilège de rassembler les hommes qui aiment trouver un peu de paix en écoutant le bruit du feu, le bruit de l'eau. Elle est aussi ce qui permet à l'homme de se souvenir des torrents qui dévalent les montagnes et qui sculptent les paysages.


Je désirerai maintenant porter votre attention sur la possibilité d'une véritable amélioration: rendre à cette place tout son sens, toute sa vie, tel est mon souci.


Il est impensable de ne pas faire mieux. 


Une marche dans l'escalier des améliorations a été gravie, il faut maintenant gravir la seconde et aller jusqu’au bout: redonner un véritable visage à cette place.


Dans le souci de continuer votre oeuvre, il serait bon, je crois, de repenser cette place dans son ensemble.


Un souterrain, traversant cette place, donnera aux touristes et aux visiteurs (vous n'êtes pas sans savoir qu'une bonne partie de l'économie de notre capitale s'appuie sur le tourisme, et qu’il faut multiplier les points de nouvelles découvertes) ainsi qu'aux habitants du quartier, l'occasion de pouvoir véritablement habiter leur place.


Tel qu'elle est aujourd'hui ce n'est, pour l'instant qu'une place à demie réalisée, en devenir.


Créer une place c'est savoir créer un cadre, un havre de paix pour les hommes, les femmes et les enfants qui y séjourneront. Il faut qu’une place soit chaleureuse comme le meilleur des salons.


Rien n'est aussi beau que de se promener aujourd'hui sur l'esplanade du Louvre, à Paris, autour de la pyramide, dégagée de circulation et de son incessant bruit, qui aurait parasité l’écoute des cataractes des fontaines. 


Il faut savoir choisir en architecture, et ne pas appliquer de demie mesure, pour satisfaire les uns et les autres et déplaire en fin de compte, à tout le monde. C'est là, un principe que j'applique dans ma création, cinématographique ou picturale, et au risque de vous déplaire, je préfère la franchise à l’hypocrisie.


Vous m'avez parlé de l'idée irréalisable d'un parking, ce que je vous demande c'est de ne pas faire de parking, mais un petit souterrain, bien fait, comme ceux qui existent déjà le long de la Seine, pour permettre une meilleure circulation. Je prends pour exemple celui qui est situé juste après l'Académie française, ou celui, plus récent, qui passe sous l'esplanade du Louvre et qui conduit à la statue de Jeanne d'Arc, pour permettre aux piétons de continuer leur promenades dans les Tuileries, après leur visite pyramidale aux musées du Louvre. Il serait bon que devant l’Académie française un souterrain permette aussi de dégager cette exemplaire place.


D'autre part, avec l'accord des militaires du Val de grâce, je suis sûr, qu'ils seraient enfin heureux, de sortir de prison leur église: le Val de Grâce, entouré depuis trop longtemps de grilles. Cette église, qui contient, comme vous le savez, les deux merveilleux tableaux de Philippe de Champaigne, est ciselée avec art, dans les moindres détails. Il faut rendre à cet édifice sa vocation première: être à même de rassembler, etc...


J'ai d'ailleurs assisté à l'intérieur du Val de Grâce à de nombreux concerts de qualité, auxquels je vous suggère d'assister , si vous ne l'avez déjà fait.


Comme la Sainte Chapelle, elle offre une très belle acoustique.


Cette place enfin dégagée de circulation et de grilles pourra retrouver son aspect original.


Comme vous l'avez remarqué, de part et d'autre de la place, des niches sont encore vides et attendent d'être, elles-aussi d’être habitées de statues.


Ce serait merveilleux de les combler.


Enfin, la place serait le terrain de jeux des petits riverains, à vélo ou à patins et rien n'est plus beau que de voir des enfants s'amuser avec joie, sur une place ou dans un jardin.


La place, ainsi remodelée, serait à même d’attirer véritablement, et il n’est pas impossible, comme nous l’avons vu, lors de l’inauguration, que l’on assiste à de nouveaux concerts, dont l’organisation pourrait être confiée, à la si intéressante Schola Cantorum.


Peut-être pourrait-on, voir là-bas, naître un festival de musique.


De toute manière, ce serait charmant d’avoir pu contribuer à la naissance d’une place, où il serait bon qu’il y ait des cafés... enfin toutes l’infrastructure accueillante pour créer un centre qui attire.

Comme je vous l’ai également suggéré, il serait bon de créer d’autres places piétonnes afin de recréer des centres accueillants et de multiples petits villages dans Paris.


De manière générale, j’ai pensé que, dès qu’il y a un édifice important: une mairie, une église, une synagogue, un temple, une mosquée, un théâtre, une belle salle de spectacle ou un cinéma, il serait bon qu’une place soit mise en chantier.
Il faut redonner à tout ces lieux leur raison d’être: être un pôle d’attraction, un lieu où les échanges sont possibles. C’est, en quelque sorte, l’idée de forum qui me paraît être la meilleure. Créer dans chaque quartier, dès que possible des forums. On pourrait, avec de la bonne volonté, mettre en relief ces édifices souvent si beaux, que nous a légués le passé et qui ont pour vocation de rassembler les hommes.


Ce serait merveilleux qu’ainsi, les habitants des différents quartiers de la capitale, puissent se retrouver, à l’abri des nuisances de la circulation, sur des places, qui ne seraient plus des parkings, mais de véritables lieux de réunion et des lieux de liens entre les êtres, des lieux de fête. 


Je prends pour exemple la place de la Contre Escarpe, au sommet de la rue Mouffetard, qui, en été, m’a fait plus d’une fois penser, à l’atmosphère familiale et chaleureuse, des places italiennes, comme celle de la Place Navonne à Rome, par exemple (bien que malheureusement la fontaine ne soit pas, elle aussi, à l’image de cette place; elle n’a pas aussi belle allure que ses consoeurs romaines).


Lorsque l’on construit un lieu, il ne faut pas oublier qu’il doit avoir un impact social dans le temps, et c’est un devoir de voir grand et de ne pas regarder aux dépenses, surtout quand on sait que c’est, de cette manière seulement, que l’on peut forger la véritable richesse d’une nation, fondée sur la réalisation, et non sur l’argent, qui n’a aucune valeur intrinsèque, face à la valeur de l’homme, face à la valeur de l’esprit.

 
Je vous ai également parlé des lampadaires de Paris, pour l’instant uniformément peints d’une couleur marron, ou encore des cariatides, petites fontaines d’eau potables, peintes, elles aussi, d’une seule et même couleur verte, et qui sont inutilisables: on ne peut pas passer la tête pour boire de l’eau.


Un projet me semblerai nécessaire, dans l’esprit de la Place de la Concorde, où l’on peut admirer des lampadaires très bien mis en relief, avec de l’or et du vert, couleurs qui suivent les pleins et les creux, ou qui dorent les feuilles de lauriers qui pourtant figurent dans la fonte.


Paris doit aussi, pour aller dans le sens de son ancien Maire, Jacques Chirac, être dotée d’une plage et d’une Seine, où il serait bon que les parisiens et les touristes puissent partager. Il serait en effet merveilleux qu’en plus de son réseau de piscines de bonne qualité, Paris possède un grand espace de Seine propre, où pendant l’été les estivants pourraient se rafraîchir, à ciel ouvert. 


Je suis sûr que vous même entretenez ce rêve. 


Ce sont là quelques petites idées, quelques rêves que vous partagerez sans doute vous même, et que nous pourrions réaliser, tous ensemble, s’il vous plaît, avec de la bonne volonté dans le souci d’embellir cette grande et déjà si belle ville.
Il faut voir grand. Dans ma rue, une plaque a été placée, en mémoire de Jean Guéhenno, peut-être y êtes-vous pour quelque chose. En passant chaque matin, je peux y lire: “les peuples comme les hommes se mesurent à leur leur rêve”.

Dans l’espoir que je vous reverrai, peut-être aussi, lors de la première de mon film, je prie d’agréer, Monsieur le Maire de Paris, l’expression de mes sentiments les plus respectueux. 

Laury Granier.


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Révision : 01 août 2003