PATRICIA NAGNAN:

L'INTRINSÈQUE NÉCESSITÉ DE L'INSECTE

LUC-FRANCOIS GRANIER: Quand une Fourmi rencontre un Termite, à quoi pense-t-elle?

PATRICIA NAGNAN: A le manger.

Mais avant de le manger il faut qu'elle l'attrape. Quels sont les moyens qu'a _'.a fourmi de le manger? Quels sont les moyens qu'a le Termite de se défendre?

L.F.G.: Du point de vue de la Fourmi?

P.N.: Il existe plusieurs stratégies selon l'espèce.

1) Soit elle est trop petite et elle ne peut pas utiliser ses armes physiques ou mécaniques. Dans ce cas elle utilisera ses armes chimiques (son venin le foudroiera).

2) Soit elle est grosse ,et sa société restreinte, elle développe alors une stratégie: le camouflage.

Lorsqu'elle entre chez le ,ermite, les produits qui la recouvrent sont identiques à ceux des Termites, et cela parce qu'elle vit depuis longtemps à leur contact (coadaptation évolutive). Ceux-ci ne l'identifient pas comme étrangère. Elle se promène, fait ses courses et mange selon son appétit.

3) Les Fourmis sont nombreuses mais ne possèdent pas l'arme foudroyante du cas de figure 1 (Monomorium) ni la garde robe de Ponera (cas de figure 2). Dans ce cas elles procèdent par raids. C'est ainsi qu'agissent nos chères Pheidole.

L.F.G.: Mais que peuvent faire les pauvres Termites contre de telles prédatrices ?

P.N.: La société des Termites, hiérarchisée comme chez tous les Insectes sociaux (abeilles..: voir Maeterlinck ou Fabre) possède une case de soldats spécialisée dans la défense de la société contre les prédateurs (le reste de la 'population" ouvrière, elle, n'est efficace que contre les Termites étrangers c'est à dire ne possédant pas la même signature chimique, la même cuticule)

Ces soldats possèdent une arme mécanique et une arme chimique: Les mandibules hypertrophiées et la substance défensive sécrétée par leur glande frontale.

Les soldats bouchent les entrées des galeries de la "termitière". (En Europe les Termites préfèrent coloniser le bois de Pin mort). Quand une Fourmi se

présente, elle se trouve face à la tète du soldat et donc face aux deux armes. Celui-ci va projeter sa substance défensive et reculer comme un fusil. S'il a bien visé, la fourmi est paralysée, il peut la déchiqueter à loisir grâce à ses mandibules, mais il ne la mangera pas.

L.F.G.: Mais alors le Termite ne fait que se défendre !

P.N.: Oui parce qu'il n'est pas carnivore mais préfère de loin la cellulose du bois. C'est son intrinsèque nécessité (il peut améliorer son ordinaire en consommant les cadavres de ses congénères: cannibalisme aspirateur).

I1 n'est pas capable de digérer la cellulose et possède des flagellés dans son tube digestif. Ceux-ci, des animaux unicellulaires, vivent en symbiose avec lui et digèrent cette cellulose. Le Termite régurgite cet amalgame prédigéré qui fait les délices de ses copains, lui-même ne goûtant qu'à celui des autres. (Alimentation par trophallaxie).

L.F.G.: Alors un Termite seul ?

P.N.: Il meurt de faim.

L.F.G.: Ce pauvre Termite aveugle et qui en plus ne supporte pas la solitude, presqu'un vrai Borgès, je suppose qu'il doit quand même s'épanouir dans le bavardage ?

P.N.: oui bien qu'il soit sourd !

L.F.G.: (Stupeur)

P.N.: Il perçoit ce qui est à courte distance par le coucher et ce qui constitue son environnement par l'odorat. Son langage est une variation sur un alphabet chimique dont les lettres sont des molécules et leur combinaison des "mots".

La perception des molécules odorantes va déclencher un certain type de comportement.

L.F.G.: Donc un langage de sensitif ?

P.N.: oui, il traduit sa sensation comme tout être vivant sur la scène de ce monde. I1 préfère traduire ce qui a trait à la citronnelle : le limonène, le pinène, le bergamotène, qu'il préfère à tout autre odeur.

L.F.G. et P.N. (ensemble) Les Termites sont des esthètes