Autour du vidéopoème: "La porte"
Midrash de la mer.
Neuvième porte: le voyage. La poignée
Mon hôtesse me demande la clé de la chambre. Je lui dis l'avoir perdue et la lui paie.
J'ai encore des choses à filmer à Faro. D'abord je visite l'église Saint-Pierre et découvre l’intérieur tout en or: il contraste avec la façade sobre ornée d’une petite statue du saint dans une niche, un pigeon sur la tête, les clés dans une main.
Je me rends au port, emprunte à pied la voie ferrée, jusqu'à la première gare. La gare s'appelle
Portas do mar (les portes de la mer).
La mer, les cris des mouettes, les poissons volants et le bateau que j'avais contemplé au début de mon séjour, brillant de soleil avec ses lignes courbes frémissantes, sont comme un appel renouvelé à la navigation, au voyage... Je demande à deux femmes qui passent de poser en caryatides de part et d'autre du porche au-dessus duquel sont écrits les mots:
Portas do mar.
Rua do Porta Nova, j'entre chez un antiquaire et découvre ses trésors: statues, assiettes, porcelaines japonaises, escalier au sommet duquel un miroir rond m'attend. J'atteins enfin le moyen âge car l'antiquaire m'ouvre la serrure d'une chambre forte, derrière laquelle une très grande statue de vierge à l'enfant me regarde.
Pendant le déjeuner, je rencontre une femme d'âge mûr, toute de blanc vêtue, une énorme opale à l'annulaire. Anglaise, elle vit à Lagos depuis dix ans, s'occupe des animaux domestiques abandonnés. Elle me conseille de partir, d'aller vers Sagrès. Grâce à elle, je me rappelle que le but véritable de mon voyage est Sagrès: il me faut aller sur le triangle de terre magique où Henri le Navigateur (troisième fils du Roi du Portugal, Jean Ier et de la fille de John of Gount) fonda la première école de navigation et où il mourut en 1450.
Je me rends à la gare routière et les mots de la fée à l'opale résonnent encore comme une mise en garde: "N'oublie pas le troisième oeil!"
La gare routière devient alors pour moi la caverne du Cyclope.
Je me prends tour à tour pour Ulysse (mais je n'ai pas de Pénélope qui m'attend) ou pour
Pinocchio dans la baleine (ce qui est plus vraisemblable). Pour la première fois de ma vie, j'ai la sensation que les personnages de la littérature sont vivants à travers et à l’intérieur de moi. Le car me conduit jusqu' à Portimao et, sans me préoccuper de la vérité étymologique, je traduis ce nom de ville par "ma porte". J'apprendrai le lendemain que cela veut dire "poignée"!
Le soir, dans la chambre de mon hôtel à Portimao, j'écris Les confessions d'un fantôme de cent huit ans, en espérant enfin retrouver mon véritable âge et mon identité.