Dernières Nouvelles d’Alsace
n°260, jeudi 5 novembre 1998
Jérôme Mallien
Réalisé par le peintre-cinéaste Laury Granier, co-scénarisé par l’universitaire Michèle Finck, impérialement dansé par Carolyn Carlson : " La Momie à mi-mots ", film onirique, muet mais musical, est présenté en avant-première à l’Odyssée de Strasbourg.
Etrange film que cette Momie à mi-mots - aussi étrange que le jeu de mots qui oblitère si fermement son titre, et que l’aventure de production qui tint en haleine, dix ans durant - dont sept pour la seule réalisation - son metteur en scène Laury Granier et sa co-scénariste, l’universitaire strasbourgeoise Michèle Finck.
De quoi s’agit-il ? A s’en tenir à la stricte linéarité du récit - mais linéaire, cette momie-ci ne l’est évidemment pas dans la forme : envol, persécution, mort, momification et résurrection d’une danseuse. D’une certaine façon, c’est à certaines œuvres de l’avant-garde française des années vingt que fait penser La Momie à mi-mots, pour le meilleur et pour le pire.
Des sabots de plomb
Le meilleur : la danse de Carolyn Carlson dans un Paris contemporain (les jardins du Luxembourg comme représentation de tous les jardins possibles...) qui emprunte sa luminosité à un René Clair atonal, la dimension coctalienne de voyage chorégraphié et initiatique des deux côtés du miroir, le montage surtout, d’abord frappé d’une agitation irrépressible, parcouru ensuite de longs frémissements, de bouffées staccato, de stases presque contemplatives. Le meilleur décidément : cette manière qu’a Laury Granier, dans ce film muet, musical et dansé par pure nécessité interne, d’accepter de se colleter à la matière même du cinéma, au temps et à la mort qui passe.
Mais le pire aussi et hélas, puisque de ce film qui ne ressemble à aucun autre, et qui s’écarte si délibérément des sentiers rebattus de la narration prédigérée, on n’aurait envie de dire que du bien. Mais ce symbolisme à sabots de plomb, mais ces fausses bonnes idées bourrées d’onirisme jusqu’à la gueule (une chasse à courre à chevaux de bois, on est chez Mary Poppins !), mais l’abyssale niaiserie de ces rondes d’enfants allant jeter, sous le regard des chevaux de la fontaine Carpeaux, les drapeaux des nations du monde...
Film divorcé d’avec lui-même, film à la fois follement intelligent et très sot, La Momie à mi-mots porte quoi qu’il en soit la marque de l’intense énergie qui paraît avoir présidé à sa longue conception. Ceci, déjà, mérite plus que le respect. Ajoutons que cette Momie bénéficie de parrainages prestigieux : sous forme d’apparitions à l’écran pour Jean Rouch ou Philippe Léotard, ou plus simplement d’éloges appuyés venant de Jean-Paul Rappeneau, Bertrand Tavernier, Jean Gili ou Patrick Brion. Mais on ne saurait se défendre d’un sentiment : que ce film si intensément porté par son auteur, et si longuement, ne soit que le prélude à un autre encore à venir, qui garderait du précédent la force instinctive, et en oublierait les afféteries.
Jérôme Mallien