Article de Michèle Finck paru à l'occasion de l'exposition "Tentative..."

 

Laury Aime: l’infinitésimal, l’intervalle et l’invisible

Libre héritier des moines miniaturistes et de leurs manuscrits enluminés, Laury Aime ouvre une voie dans l’exploration de l’infinitésimal, de l’intervalle et de l’invisible. L’acuité et la mobilité de la touche, posée seulement au terme d’une concentration extrême, le travail patient de répétitions et de variations, l’attention chirurgicale à la moindre embrasure de couleur, permettent à l’expérience du sacré, si ténue et retenue soit-elle, de remonter des profondeurs tremblantes du trait stellaire. Le sentiment de l’immensité et de l’illimité affleure dans chaque petit point peint. L’oeil est à l’écoute d’une vibration centrale qui se propage dans les lignes tracées: lignes chantées, rythmées, modulées, “song lines” d’un livre des origines exhumé par un pinceau d’archéologue. Si féconde est cette coïncidence de l’oeil et de l’oreille, des vibrations visibles et des vibrations audibles, dans le scintillement silencieux des cellules lumineuses qu’elle est le haut fourneau à partir duquel s’élabore l’une des tentatives majeures de Laury Aime: un piano peint, enluminé à la manière des livres d’heures; sur sa surface frémissante (mer d’aube, terre ou neige de feu) chaque microscopique anneau de couleur respire et résonne, jusqu’à l’effacement de la dissemblance entre peinture et musique.


Michèle Finck

Quelques citations extraites des carnets de Laury Aime (choisies par Michèle Finck):

- “Il n’y a plus de mots et c’est meilleur. La peinture: c’est un état de connaissance comme celui du berceau, des animaux, des plantes ou des nuages. Je peins pour témoigner que cet état existe et qu’il vous faut le trouver”.
- “Ne pas hésiter à revisiter chaque trait (aussi bien posé soit-il) à l’aide d’une autre couleur”.
- “De toute éternité la couleur était là. Je la replace. C’est tout. A la découverte d’une toile déjà peinte à l’origine”.
- “La toile s’élargit à mesure qu’on la travaille. Chaque trait prend des proportions démesurées, si petit soit-il”.
- “Quand je peins, je me transforme en une gigantesque grue qui déplace des montagnes sur les poils du pinceau”.
- “Depuis quelques éternités, je peins des anneaux. Il y a un stade de l’esprit, où l’on ne peut dessiner autre chose que de petits cercles”.
- “Le pinceau est le fer à souder de l’esprit”.
- “ Chaque point devient comme un énorme soleil qui vous aimante”.
- “ Quand on peint, on découvre un paysage nouveau à mesure qu’on avance. Comme un pilote de course ou un camionneur qui n’aurait pas la contrainte d’une route à suivre (visible). La route à suivre est invisible, et elle se révèle à mesure du tracé”.
- “Tout est oeil et je suis vu de partout”.


Cinéaste (sous le nom de Laury Granier) et peintre (sous le nom de Laury Aime). Docteur en art et sciences de l’art (Sorbonne). Expositions personnelles et collectives à Paris. Plusieurs de ses peintures sont intégrées dans son film de fiction La momie à mi-mots (avec Carolyn Carlson premier rôle), film qui a obtenu le premier prix Andrej Tarkovski pour la création artistique et le langage cinématographique (Buenos Aires 1996) et a été sélectionné dans plusieurs festivals européens (Cinema Nuovo à Pesaro, Eurovisioni à la Villa Médicis).