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Revue Udnie n°0

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MICHELE FINCK:

LE SON MONOTONE DANS LA POESIE D'YVES BONNEFOY

 

"Toute âme est une mélodie, qu'il s'agit de renouer" (Mallarmé)

L'âme de Bonnefoy est une mélodie monotone. Tout se passe comme si Bonnefoy n'entendait jamais que cette note unique qui traverse PIERRE ECRITE - la "note si" (1). Les voix qui bouleversent le poète sont toutes des voix monotones: "Rien ne me touche plus que (...) la longue et monotone parole d'Alexandra David-Neel" (2). Le son monotone est l'une des matrices de 1a poésie de Bonnefoy. Le recueil DANS LE LEURRE DU SEUIL a pour origine l'obsession du son monotone: "C'est alors que des mots surgissent (...), des associations (...), l'idée de sifflement, de changement de hauteur d'un son monotone" (3). Le son monotone, qui créé un continuum de timbre dans la langue, est l'incarnation acoustique de l'Un vers lequel tend toute la poésie de Bonnefoy. La monotonie de la mélodie est l'épanchement de l'un dans la matière verbale.

Le mot "monotone", qui repose sur l'osmose monocorde des trois "o", est l'un des mots de la langue 'française qui exauce le mieux le désir cratyliste d'une adéquation du nom et de la chose nommée. Nulle part peut-être l'accord du son et du sens n'est aussi intense que dans le vocable "monotone". C'est cet accord que fait vibrer et que prolonge Bonnefoy dans le poème "La lampe, le dormeur". Les trois "o" du mot "monotone" sont comme soulignés par le point d'orgue que crée le "ô" de l'interjection placée en tête de l'hémistiche: "Je t'écoutais rêver. 0 monotone et sourde" (4). A cet égard le tissu phonique du mot "monotone", fondé sur la répétition d'un même son vocalique, est un :microcosme verbal 3u tissu phonique du vers de Bonnefoy, dont la marque spécifique est la propagation d'une voyelle unique: "Flamme de salle en salle" (5)... "Doubles, doubles toujours" (6)... "Toute douceur toute" (7). Ces cellules sonores sont faites sur le modèle du matériau phonique du mot "monotone". La musique verbale du mot "monotone" est l'une des cellules génératrices de la musique de la langue de Bonnefoy.

La propagation d'un son vocalique unique dans une séquence verbale n'est que l'un des signes de l'obsession du son monotone dans l'œuvre de Bonnefoy. Une autre incarnation de cette obsession est la répétition du même son vocalique dans la première et la dernière syllabe du vers. La fréquence de cette structure d'enroulement phonique est saisissante. Voici quelques vers où la présence d'un même son vocalique aux deux pôles crée un effet de monotonie: "Qui a blanchi" (8) ... "S1 simple le cristal un peu jauni" (9)..." Qui a mal pris" (l0)... "I1 nous oublie" (11) ..."Souviens -toi qu'elle nous échappe et parle-nous" (12)..."Pousse ta barque pour nous" (13)..."Pour nommer le jour" (14)..."Soit pour qui a eu froid" (15)... Cette structure monotone par enroulement est d'autant plus mise en relief qu'elle est soulignée par un rejet: "Soit lavée notre ombre et que soit" (16). Ici l'aspiration au son monotone enroulé a pour conséquence la rupture de la coïncidence entre la syntaxe et la métrique. Cet enroulement du vers sur un son Identique, monotone, est une des formes profondes qui structurent la langue de Bonnefoy.

L'obsession du son monotone engendre une figure circulaire. Le travail de la matière sonore rejoint la thématique matricielle de la courbe: "Tu habites la nuit d'une phrase courbée" (17). La répétition d'un même son aux deux extrémités du vers confère aussi au verbe de Bonnefoy cette stabilité, cette massivité qui lui sont propres. La monotonie est inséparable ici d'un sens du poids des mots.

La structure monotone par répétition d'un même son à chaque pôle du vers correspond à la structure graphique du nom du poète: Yves Bonnefoy. Le son monotone aux extrémités du vers est en quelque sorte l'indice sonore du redoublement de la lettre "Y", qui constitue l'identité graphique du poète.

(1): PE, p.226; (2): AP,p.30; (3):EP,p.25; (4):PE,p.119; (5):LS,p.286; (6):PE,p.192; (7):HRD,p.159; (8):LS,p.273; (9):LS,p.290; (10):LS,p.262; (11):LS,p.265; (12):HRD,p.248 (13):LS,p.260; (14):LS,p.261; (15):LS,p.262); (16):LS,p.285; (17):PE,p.199.

Abréviations utilisées pour désigner les recueils:

PE: PIERRE ECRITE; AP: L'ARRIERE-PAYS; EP: ENTRETIENS SUR LA POESIE; LS: DANS LE LEURRE DU SEUIL; HRD: HIER RÉGNANT DÉSERT.

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Révision : 15 avril 2003