ACCUEIL DU SITE

Accueil association UDNIE

 

Page précédente

Page suivante

Sommaire

 

Revue Udnie n°0

26.jpg (9256 octets)

CATHERINE PRADEILLES:

ENTRE LE COEUR ET LA TOILE

LA BERGÈRE INTÉRIEURE

La lumière du jour a lâché ma main, au seuil du linteau d'arabesques. J'ai ouvert la porte du livre, et le silence est entré. La fée odeur dorée de papier a soulevé les paupières intérieures, et j'ai vu briller la veilleuse au fond du corridor des signes, comme 1a reconnaissance de l'appel ancien.

Les fées de la mémoire et de l'intimité muette m'ont fait goûter l'herbe d'oubli et le pain des histoires, j'ai perdu connaissance...

APPARUE DANS LE MIROIR

Son visage est si pur que ses traits répandent autour d'eux la lumière. Elle se regarde dans la miroir, longuement, longuement...

La bague, étincelante, est posée devant le miroir.

L'EAU DE MÉMOIRE

Trois belles nymphes, las cheveux épars ondoyants sur les épaules, couverts de guirlandes de diverses perles, le sein découvert, un linomple délié sortant des manches retroussées de la robe, attaché aux poignets fragiles par deux gros bracelets de perles; carquois, arc d'ivoire, brodequins.

Elles contemplent dans leur mémoire :.e souvenir de la peinture que le mage leur a montrée dans 1e miroir: la touffe d'arbre, le repli de la rivière, impétueuse, outrageant les bords, se rompant et tournant sur elle-même.

Est-ce le lieu?

Un jeune homme noyé, si beau que l'onde se resserre sur lui dans une étreinte mortelle. Mais le destin l'attend sur le bord étranger, et Galathée, nymphe puissante.

Astrée, celle qu'il sert, celle qu'il aime, sans connaissance sur l'autre rive, portée sur l'eau comme une fleur par le bouillonnement de sa robe, fleur terrestre, presque détachée de la rive, et recueillie par les bergers.

LE COEUR BOISE

Au commencement était l'âge de paradis, et l'amour paissait dans le cœur de l'homme le troupeau du sens..

Auprès de l'ancienne ville de Lyon, du côté du soleil couchant, il y a un pays nommé Forests. Au cœur du pays est le plus beau de la plaine, ceinte comme d'une muraille des monts voisins, et arrosée du fleuve; ruisseaux, rivières la vont baignant de leurs claires ondes. Mais l'un des plus beaux est Lignon.

Lignon, l'eau de mémoire, Lignon, l'eau qui sépare, la frontière du rêve.

Un torrent court entre Babylone et Cythère.

LA CHUTE, LE RÈGNE, ET LES ENFERS

Astrée a maudit Céladon; le rocher où elle était assise surplombait les eaux furieuses de Lignon; il a refermé ses plis d'écume sur son amant désespéré. Le voilà de l'autre côté du Royaume des ombres. illusion de la mort... Vos mains qui se tendent, de part et d'autre du regret et de la solitude amère, heurtent l'écran sombre et transparent du voile funèbre. Sa chute a arraché Céladon à l'asyle de la forêt spirituelle.

Les nymphes ploient sous le fardeau du corps abandonné. I1 repose à présent sur !a couche précieuse. Le voici dans l'espace magnétique du pouvoir. Il s'éveille...

"J'ai sauté dans le profond du fleuve, je suis entré dans le royaume des ténèbres..."

c'est le Palais d'Isoure. Des peintures éclatantes... Son œil faible encore ne reconnaît pas les simulacres. Saturne, les Coribantes, Bacchus, Sémélé, Ganimède, et Vénus et Psychée...

La bague étincelante est posée devant le miroir. Célidée la place dans la paume de sa main. La main est blanche et douce. Tamyre l'aime depuis toujours, Calidon depuis peu. La main se referme sur la pierre acérée. Ton sang est si rouge,. Célydée...

L'HERBE DE FOURVOIEMENT

On a raconté qu'une ombre rôde au cœur de la forêt, une ombre qui ressemble, comme un double effacé, au berger noyé.

La petite troupe des bergers chemine. La nuit est tombée. lis sont perdus, au plus profond du bois.

Le palais d'Isoure est muet. I1 est parti, le jeune homme sauvé. La nymphe fixe les peintures; il s'est enfui.

Un petit pont symbolique sourit. I1 est jeté sur le Lignon, comme un trait d'union improbable. Traverse-t-on impunément l'eau de mémoire? Ii sait qu'il a porté les pas du fuyard. Céladon, condamné à l'épreuve de l'ombre...

Nul ne déchire avant l'heure le voile de deuil qui sépare les amants.

'TEMPLE

Au coeur de la forêt, le temple; au coeur du temple, le tableau; au coeur du coeur, le visage; l'âme, au coeur du ,visage...

La petite troupe des bergers a découvert le bccage sacré. Une belle fontaine prenait source tout contre la porte du temple de feuillages; l'herbe n'y est point foulée. Au coeur du sanctuaire, sous les frondaisons voûtées, le portrait. N'avez-vous jamais vu, dit Diane, personne 3 qui ce portrait ressemble? Phillis, le considérant davantage: voilà, lui réponditelle, le portrait d'Astrée.

"Si vous étiez bon peintre, lui dit'-il, vous avez bien la mémoire assez vive pour vous ressouvenir des traits du visage de la belle Astrée, de sorte que vous pourriez bien la peindre, et nous la mettrions sur cet autel qui lui est dédié.

Vous avez raison, mon père, j'ai tous les traits de son visage, et ses parlers, et ses façons de faire si bien gravés en l'âme qu'il me semble qu'elle est toujours devant mes yeux."

Le druide s'éloigne; il serre les doigts sur une pette boîte.

LE VISAGE INTERIEUR

Les larmes coulent sur les joues pâles de Célidée. Le reflet de la torche les fait étinceler un bref instant sur 1e miroir. Célidée prend la bague de diamant, la pierre empoisonnée: les plaies qu'elle dessine ne guérissent jamais.

Elle déchire lentement son visage. Tamire l'aime depuis toujours. Calidon n'aime que sa beauté.

UN TABLEAU DE LA RENAISSANCE AU BOIS DORMANT

Le soleil ne paraissait point encore, lors que de fortune il adressa ses pas du côté où était cette troupe. Et parce que Céladon s'en alloit tout en ses pensées, sans prendre garde à ce qui lui estoit autour, jamais homme ne fut plus estorné que lui quand tout à coup il apperceut Astrée. Elle avoit un mouchoir dessus les yeux qui lui cachou une partie du visage, un brassous la" teste, et l'autre estendu le long de la cuisse et le cotillon, un peu retroussé par mesgarde, ne cachoit pas entièrement la beauté de la jambe. Et d'autant que son corps de juppe la serroit un peu, elle s'estoit deslassée, et n'avoit rien sur le sein qu'un mouchoir de reseul au travers duquel 1a blancheur de sa gorge paroissoit merveilleusement. Du bras qu'elle avoit sous la teste, on voyoit 1a manche avallée jusques sous le coude, permettant ainsi la veue d'un bras blanc et potelé, -dont les veines, par la délicatesse oie la peau, par leur couleur bleue, descouvroient leurs divers passages. Une partie de ses cheveux, trop négligemment serrés, s'estoit esparse sur sa joue, et l'autre prise à des ronces voisines.

Les rayons du soleil qui lui donnaient sur le visage l'éblouirent de leur prompte clarté... Elle ne put que l'entrevoir comme une ombre, et lorsqu'elle voulut tourner la tête pour le suivre des yeux, ses cheveu:, pris dans des ronces, l'arrêtèrent.

Nul ne déchirera avant l'heure le voile de deuil qui sépare les amants...

J'ai marché sur l'herbe de fourvoiement. Je ne retrouve pas la porte de retour au réel. Le long du corridor des signes surgissent des miroirs éteints où s'ébauchent les images d'un rêve. Malheur à celui qui oublie que le paysage qui sourit dans l'encadrement des fenêtres n'est qu'un simulacre trompeur tracé sur les vitres aveugles.

Toujours ce murmure d'eau et de feuilles, ou de pages tournées...

(Collage, période baroque, d'après Honoré D'Urfé)

26.jpg (9256 octets)

 

Page précédente

Page suivante

Sommaire

 



Copyright © 2000 Lorimage. Tous droits réservés.
Révision : 15 avril 2003