ANTICYTHERE : la nouvelle
écrite en septembre 1981.
J 'ai trouvé une plage entre deux rochers qui tombent abruptes dans la mer.
Je m’y rends car je peux rester seul toute une journée.
J'aime apprécier un endroit dont il me semble que je suis le seul à connaître son existence.
Je m’étends sur une serviette où des palmiers sont brodés, une gourde d'eau fraîche de source à ma portée, une boite de thon et du pain de campagne pour me nourrir.
Les heures passent sans que je m'en aperçoive et j'ai la sensation que l'éternité existe.
J'écoute inlassablement le bruit des vagues qui balayent doucement le sable fin, je suis des yeux le contour compliqué des rochers qui forment des grottes où la mer se cache
Sur cette plage, je peux parler haut, chanter, toucher mon sexe, me mettre nu pour bronzer uniformément, me baigner sans le contact désagréable du maillot, noyer les tristes pensées du temps passé dans la mer bleue, si transparente.
Ce matin, après m'être assoupi, je me réveillai dans l'intention de rafraîchir mon corps chauffé par le soleil.
.Je me levai péniblement et là, à vingt mètres de moi, une ferme nue, les seins pointés vers le ciel, les jambes écartées à lamer, se tenait étendue sur une serviette rose.
On avait donc découvert la plage que je croyais exclusivement mienne !
Je me recouchai et la tête tournée vers l'intruse, je l'observai amèrement.
J'étais le seul étranger dans cette île.
Je connaissais les trente habitants qui étaient tous des vieillards et des femmes ridées. Et cette femme avait tout au plus dix-huit ans.
Je distinguai un corps parfait, les traits de son visage me semblèrent réguliers.
Je l'aurais désirée un tout autre jour. Aujourd'hui, elle était celle qui brisait mon bonheur solitaire. Se la détestai. Cette plage devint soudainement un enfer. Elle se leva, et droite, les seins hauts, avança. De longs cheveux blonds ondulés caressaient ses reins.
Face à la mer, les bras écartés comme si elle voulait !'étreindre, elle chanta de la voix la plus merveilleuse.
il me sembla alors que cette femme était indispensable à ma vie. Elle savait par le chant communiquer les sentiments les plus purs, les plus tendres. J'aimai engendre ces sons aigus entrecoupés de sons graves. je l'avais détestée, je l'adorai, cette femme.
Alors, je me levai et sans bruit, de peur de l'interrompre, je m'approchai d'elle, je la pris dans mes bras et l'étendis sur le sable. Je couchai sur elle et nous fîmes l'amour. Elle continua de chanter pendant que ses mains griffaient mon dos.
Je voulus chanter aussi, mais aucun son ne sortit de ma bouche.
J'étais muet, elle chantait de plaisir.
Je devins alors furieux et lui mordis violemment la bouche.
Elle continua, mais ce fut une triste mélodie. La rage et la jalousie s'emparèrent de moi, je saisis un gros galet qui se trouvait à ma droite et lui assénai plusieurs coups sur le front.
Je ne pus retrouver ma voix que lorsqu'elle fut morte et là, j'ai attaché un gros caillou au pied de ma victime et je chantai comme je ne l'avais jamais fait.
Puis j'ai pris son corps dégoulinant de sang dans mes bras, j'ai poussé le tout dans une des grottes. C'est là que ma cantatrice a disparu dans la mer entraînée par le poids du caillou
Je suis revenu ce soir au village en chantant car je suis heureux: je peux à nouveau écouter le bruit des vagues de la plage et sentir le vent qui caresse ma peau hâlée par le soleil.
ANTIKITHIRA, septembre 1981