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Arts Sciences Techniques.

Connaissance des hommes

(n°26, janvier 1999)

 

L’art du conte.

La vie est belle, de Roberto Benigni

La momie à mi-mots, de Laury Granier

Par Michel Estève.

 

Deux films très différents, mais réunis par un dénominateur commun - l’art du conte - retiennent aujourd’hui notre attention par l’originalité de leur propos et le profond humanisme de leur vision du monde.

La momie à mi-mots

Avec La Momie à mi-mots, Laury Granier, peintre - plusieurs de ses tableaux non figuratifs, taches de couleurs, lignes entrelacées, servent de toile de fond au générique - et cinéaste, nous propose un film à part, étrange, fascinant par son originalité esthétique. Renouant avec une inspiration surréaliste, La Momie à mi-mots incarne par son écriture une face du " cinéma de poésie " auquel aspirait Pasolini.

Un parcours symbolique

Film dense et bref (environ quarante-cinq minutes de projection), constamment animé par le mouvement - pas de danse et gestes de la ballerine, déplacement des personnages et de la caméra, rondes du manège des chevaux de bois - et un rythme nerveux, rapide, donné par un montage qui s’inscrit dans la tradition d’Eisenstein, La Momie à mi-mots ne relève pas du " cinéma spectacle ". À contre-courant des modes actuelles, sans action spectaculaire, sans violence, sans dialogues, donnant une primauté absolue à l’image, l’essai cinématographie de Laury Granier captive notre attention comme une œuvre d’art qui noue de multiples " correspondances " entre cinéma, peinture, sculpture, danse et musique.

Ce film, en réalité, est un conte dont la trame se déroule dans un grand jardin public imaginaire (synthèse de plusieurs jardins parisiens dont celui du Luxembourg). Il retrace un itinéraire intérieur symbolique, celui d’une ballerine (Carolyn Carlson) : ascétisme de la danse, angoisse, agonie, mort, momification et résurrection.

Cet itinéraire épouse lui-même une structure musicale suggérée par des images récurrentes que nous percevons comme autant de rimes ou d’assonances visuelles, plastiques : les oiseaux, les chevaux de bois, les cors de chasse, les statues, l’eau, les masques. Il se déploie en neuf " chapitres " précédés, comme dans le cinéma muet, d’intertitres inscrits sur des miniatures peintes par le cinéaste : " Il était une fois dans un jardin ", " Souvenir d’enfance ", "Passage Charon Achéron ", " Funérailles ", etc.

D’emblée, le travail de la danse est présenté comme une ascèse qui impose à la ballerine d’aller jusqu’aux limites d’elle-même. Un personnage masqué la persécute. L’angoisse précède l’agonie. Le corps de la ballerine se recroqueville, tel celui d’un fœtus, dans la position des momies du Pérou, et s’abandonne à la mort dans un bac à sable d’un jardin public (celui du Champ de Mars) destiné aux enfants. Évoquant des figures de Rois Mages, des personnages anonymes - parmi eux, le cinéaste Jean Rouch - transforment la ballerine en momie, l’entourant de tissus blancs et posant sur sa tête un masque de taureau aux grandes oreilles multicolores qui joue un rôle important dans la cérémonie péruvienne de la diablada.

Plusieurs démarches symboliques d’effort et de création artistique nous orientent vers une symbolique de la résurrection : ascension par un alpiniste du dôme de l’Observatoire de Paris, peintre devant son chevalet (Laury Granier), musicienne jouant de la harpe, jongleuse... Des enfants jouent à la marelle sur des cartes du monde. En un refus des frontières qui peuvent faire obstacle à la tolérance et à la communication entre les hommes, ces cartes sont transformées, comme par magie, en cerfs-volants de couleur bleu clair poussés vers l’azur...

Renaître à soi-même

Tel un papillon sortant de sa chrysalide, la ballerine se dégage de ses tissus, sa robe rouge transformée en blanc, renaît à la vie et à elle-même et vient danser sous la statue de la fontaine Carpeaux où le globe terrestre est soutenu par quatre danseuses représentant chacune un continent.

Revenue à la vie, la ballerine donne la vie à la fontaine asséchée en faisant jaillir l’eau, comme par un coup de baguette magique (une baguette qui lui a été remise). Puis elle entraîne dans une danse d’innombrables enfants de différentes nationalités. Ces enfants déposent dans l’eau d’un bassin des drapeaux d’innombrables pays, puis leur ajoutent un bouquet de fleurs, symbole d’un monde futur réunifié au-delà des clivages des nations.

La momie à mi-mots ? L’espoir d’un monde meilleur qui serait engendré par la renaissance à soi-même. La construction d’un univers de tolérance est l’affaire de chacun d’entre nous.

Michel Estève

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Révision : 12 avril 2003