Le Figaro
7 décembre 1998
Le monde merveilleux de Laury Granier
par Anne-Sophie Cathala
Dans un long métrage projeté au cinéma Le Denfert, la danseuse Carolyn Carlson erre du Luxembourg au Champ-de-Mars.
La Momie à mi-mots métamorphose les jardins du Luxembourg en forêt de Brocéliande habitée par une mélancolique ballerine.
Laury Granier est un cinéaste magicien. Son premier long métrage, La Momie à mi-mots, a vu le jour grâce à 150 sponsors et à de nombreux bénévoles. Il est actuellement projeté au cinéma Le Denfert, place Denfert-Rochereau (XIVe). On peut y voir la métamorphose des jardins du Luxembourg en une étrange forêt de Brocéliande peuplée de joggers ailés, de mages vêtus de drapés surannés et d’insolites masques péruviens, de chevaux de bois et d’enfants heureux. Le personnage principal de ce conte fantastique est une mélancolique ballerine, jouée par la grande danseuse Carolyn Carlson. Elle erre telle une fée déchue. Bientôt en proie à d’obscures souffrances, elle agonise et s’écroule dans un bac à sable du Champ-de-Mars.
Rythme saccadé
S’ensuivent de farfelus rituels destinés à ressusciter la ballerine momifiée. On assiste à un ballet nocturne de barques sur la Seine, on découvre un alpiniste cagoulé qui part à l’assaut du toit de l’Observatoire de Paris, des sonneurs de cors qui tournoient sur un carrousel du pont d’Iéna, une écuyère montée sur un fringant Pégase affublé d’ailes d’autruche. Des enfants qui transforment des cartes du monde en immenses cerfs-volants et un époustouflant joueur de yo-yo participent également à la guérison. Sauvée par tous ces personnages, la danseuse ressuscite à la fin du film dans les jardins de l’Observatoire.
La Momie à mi-mots est un drôle de film, sans dialogues, dansé et entièrement musical. Un film d’art qui mêle harpe, piano, peinture, et fait un peu songer à certaines œuvres de Cocteau. Docteur en sciences de l’art, Laury Granier est aussi artiste peintre. Tour à tour scénariste, réalisateur, cameraman, acteur, producteur et distributeur, ce jeune cinéaste n’a pas ménagé ses efforts. En l’absence de toute subvention de l’Etat, il a réuni les financements grâce à des amis. Le restaurant Le Bullier a offert les repas à toute l’équipe, l’Institut géographique national des éléments de décor.
Parmi les acteurs, Philippe Léotard ou le cinéaste Jean Rouch côtoient des inconnus qui se sont prêtés de bon cœur au jeu: Mme Paudeau, marchande de barbe à papa et propriétaire des voiliers en bois du bassin du Luxembourg, les élèves de l’Ecole alsacienne, l’Association des sonneurs de trompe. Soutenue par une musique originale de Margret Brill - ancienne harpiste de Leonard Bernstein au Philharmonique de New York -, la succession rapide des images insuffle au film un rythme saccadé, en accord avec les émotions des personnages. Cette rêverie cinématographique a déjà été présentée à la Cinémathèque française. Elle a reçu le prix Andrei Tarkovski pour la création artistique.
Anne-Sophie Cathala