La séquence de l’arrivée des mages avait été ratée lors du premier tournage. Nous l’avions tournée sous la pluie et de l’eau était tombée sur l’objectif de la caméra, rendant ainsi floue et inutilisable toute la séquence (je ne pouvais, en aucun cas, tirer parti de ce flou!).

Je devais donc réorganiser un tournage pour filmer l’arrivée des mages, autour de Carolyn ressuscitée. Cette séquence était particulièrement lourde à mettre en scène: elle faisait appel à de nombreuses énergies.

De plus, en l’absence de Carolyn, qui vivait à l’étranger, il fallait que la séquence soit tournée comme une subjective de Carolyn, au moment où celle-ci s’était jetée sous les jets d’eau de la fontaine. Il fallait donc que la caméra soit dans la fontaine, ce qui rendait périlleux le tournage et risquait de mouiller, à nouveau, la caméra.

Je découvris, en préparant le nouveau tournage de cette scène, une idée importante: le personnage de l’Homme masqué, qui était apparu tout le long du film et qui était né, lors du premier tournage, de l’absence à la dernière minute de Philippe Léotard, devait à nouveau être présent. Il devait maintenant se démasquer et apparaître sous les traits du personnage de Philippe Léotard, le père de Carolyn enfant.

Je demandai à Philippe de me donner plusieurs dates possibles pour cette séquence, afin de pouvoir réunir l’ensemble des acteurs et l’équipe technique. Il fallait que nous nous adaptions à son emploi du temps.

Je dus réunir tous les personnages acteurs de la séquence. Il y avait bien sûr Jean Rouch, dans son manteau de douanier suédois, Michèle Finck, dans son manteau de reine,

 Anne-Laure Meury, vêtue de la robe de velours afghane, Ma El, habillé en berbère. 

Il y avait aussi le personnage de l’aveugle, qui devait arriver avec ses ballons multicolores et un grand clown gonflé à l’hélium. L’aveugle retrouvait la vue au cours de cette séquence.

J’ai demandé à Philippe Léotard d’apparaître avec les vêtements de l’homme masqué-alpiniste. Il apportait à Carolyn, en hommage, le bouquet de fleurs que sa doublure masquée avait montré au soleil, au sommet de l’ascension dangereuse sur la coupole de l’observatoire. Un des anges devait lui ouvrir la porte du square.

Bien sûr, le danseur de yo-yos était lui aussi présent. Tous devaient avoir sur le visage un masque d’animal, sorte de clin d’œil au masque que tient devant lui Le marchand de masques ou La statue de l’Ecriture.

Plus d’un an était passé entre le premier tournage et celui-ci, et il fallait que tout cela soit raccordable au montage, placé après la résurrection de Carolyn et avant la venue des enfants. Je cherchais à donner l’impression que les mages arrivaient juste après ce que nous avions tourné près d’un an auparavant.

Nous convînmes finalement d’un jour où tous pourraient être présents: miracle, je constatai au réveil que le temps était maussade et pluvieux, presque comme pour le premier tournage. Cela faciliterait les raccords au montage, mais j’espérais cependant qu’il ne pleuvrait pas.

J’ai pu, grâce à une photo de tournage, faire recomposer un bouquet de fleurs comparable à celui que l’alpiniste avait monté au sommet de l’observatoire .

Les activités du tournage furent elles-mêmes tournées en vidéo par Ricky Leacock, un ami cinéaste de Jean Rouch, qui assistait à une partie de cette journée.

Chacun des mages apportait un présent à Carolyn (sensée regarder la scène de l’intérieur de la fontaine Carpeau - c’était moi, qui les pieds dans l’eau, tournait ce plan subjectif de Carolyn), et le déposait sur le rebord de la fontaine.

L’aveugle jetait sa canne et ses lunettes dans l’eau. Par sa résurrection, Carolyn avait redonné la vue à l’aveugle.

Relayé par Pablo à la caméra, je reprenais aussi mes fonctions d’acteur: j’apparus sous les traits du mage-peintre et, à mon tour, j’apportais en présent à Carolyn un pinceau et une caméra vidéo.

Enfin, je redevins metteur en scène; et je demandai à l’ange de disparaître derrière un tronc d’arbre en emportant le clown gonflé à l’hélium et en incitant Roméo à intervenir à son tour.

J’avais heureusement redécoupé la veille la séquence, qui comportait de nombreux plans à tourner, et nous fîmes du bon travail ce jour-là.

J’eus cependant aussi une déconvenue: je pensais tourner encore un autre plan du clown, tenu par l’aveugle. Malheureusement le clown d’hélium s’envola, 

et cette disparition me força à improviser très vite une nouvelle fin. Je pris le parti de remplacer la scène du clown (qui devait passer de main en main entre les mages, dans une scène de jeu), par une scène avec des bonbons. Je demandai à tous les acteurs de lancer avec joie les bonbons en l’air, comme des ballons, et de les ramasser. J’avais sauvegardé le climat de fête de la scène, mais au fond de moi-même j’étais extrêmement triste de la disparition de mon clown.

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Révision : 11 avril 2003