Revue Udnie n°0
ALAIN KREMSKI
LUC-FRANCOIS GRANIER : Les bols tibétains ce sont, diton, sept métaux composés pour un moine selon son thème astral. Est-ce que, lorsque tu en joues, tu ne fais pas d'une certaine manière sonner l'âme du moine. Sonneur d'âmes mortes, tu composes sur leur dos.
Sur un piano par contre tu interprètes la "composition", la "musique" de compositeurs morts le plus souvent. De toute façon des moments de temps passé, même si leurs auteurs peuvent t'être contemporains.
Tout ça, c'est bien nostalgique?
ALAIN KREMSKI : Oui, nostalgie, parce que je suis romantique. Mais c'est là le premier degré d'un appel plus profond, qui provient d'un manque, d'un appel de contact avec le sacré perdu. Deux niveaux très différents.
D'un côté romantisme, de l'autre ouverture sur la musique sacrée d'orient et d'occident.
Le romantisme que je retrouve dans le piano, ou dans ce que j'écris, est une manière de s'exalter, de s'identifier à une énergie.
Dans le sacré par contre e il y a une approche plus transparente, un rapport avec la rectitude. Et, s'il s'agit de s'unir avec le sacré, il y a là une distance tranquille et sereine pour ne pas être pris par
l'énergie qui se manifeste.
Ce passage, qui est aussi un conflit, ne recoupe pas nécessairement les bols tibétains et le piano. Pour certaines musiques ça peut être aussi à l'intérieur du piano.
L.F.G.: Alors les bols seraient une manière de faire sonner un espace?
A.K.: Le bol, c'est le point de limite entre l'énergie manifestée et le vide.
L.F.G.: Est-ce qu'il n'en est pas de même à Tournus, dans la cathédrale, lorsque tu joues du piano?
A.K.: Oui, j'utilise le piano comme un émetteur d'énergie, qui va remplir physiquement l'espace et faire voyager les gens.
L.F.G.: De là ton intérêt pour des lieux sonnants, alchimiquement composés par des architectes...
A.K.: Comme le courent de La Tourette construit par Le Corbusier... Une architecture sonore dans une architecture. Et l'architecture est là justement à travers l'espace maîtrisé, où, comme le disait Krischnamurti, il n'y a plus de différence entre l'extérieur et l'intérieur.
Lorsque je rentre dans le lieu, l’architecture n’est là que pour donner des impressions qui font apparaître un certain moi.
Et la musique est là pour dissoudre ce moi...