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Extrait d’un dossier de 10 pages (avec photos)

consacré à La Momie à mi-mots,

en conclusion de l’essai Poésie et danse à l’époque moderne

Corps provisoire, Armand Colin (p. 101-111)

par Michèle Finck

(...) L’histoire de La Momie à mi-mots, long métrage tourné dans les jardins de Paris qui finissent par n’être plus qu’un seul jardin imaginaire, se déploie autour de cinq statues, qui sont autant de centres d’un parcours initiatique : la statue d’un cheval de pierre (pont de l’Alma), incarnation d’une force vitale prise dans la pierre ; la statue de la Liberté (jardin du Luxembourg) ou le leurre de la liberté ; la statue L’Enfant Comédie (Luxembourg) qui identifie la vie à un jeu de masques ; la statue La Femme aux bras levés (jardin Marco-Polo) ou la promesse du sens ; la statue de la fontaine Carpeaux. Une jeune femme fait ici l’épreuve de l’initiation, qui est surtout, au sens étymologique de ce terme, désir du " commencement ". Il s’agit pour cette femme de se tenir à l’extrême limite du corps, comme à la fin de tout geste, là où l’on ne peut plus continuer : c’est là qu’elle doit se risquer, afin que là peut-être tout commence. Dressé dans l’horizon de la mort, le corps n’est que dans l’excès de la crise, jusqu’à ce qu’il bascule : la jeune femme agonise dans un bac à sable pour enfants du Champ-de-Mars, où elle se recroqueville en fœtus, dans la position des momies péruviennes. Surgissent alors des personnages qui ont quelque chose des rois mages. Ils transforment la jeune femme en momie. Ils l’entourent de coton et de précieux tissus. Ils l’enroulent dans une cape de mots, ils posent sur sa tête un masque de taureaux aux dents de miroirs et aux larges oreilles multicolores : masque qui sert à la cérémonie péruvienne de la diablada, danse à vocation d’exorcisme près du lac Titicaca. Tout est en place désormais pour que puissent œuvrer à la " résurrection " de la momie ceux qui ont pour tâche de transmuer le non-sens en sens : en particulier l’alpiniste, le musicien, le peintre, qui accomplissent chacun un acte, pendant que veille sur la momie un danseur de yoyos, version moderne de l’antique Parque. Vient ensuite le rituel des enfants qui assemblent les pans d’une gigantesque carte du monde sur laquelle ils marchent en jouant à la marelle. Aidés par quelques " mages ", par des anges-jogger enceintes et par une écuyère montée sur un cheval blanc aux ailes d’autruche, les enfants transforment les cartes du monde en cerfs-volants. Et voici qu’au moment où le puzzle recomposé du monde enfin vole, la momie peu à peu se dégage de ses gangues de tissus, sous la statue de la fontaine Carpeaux qui représente le globe tenu par quatre danseuses emblématiques de quatre continents. La momie trouve alors la voie vers le commencement qui est danse : elle danse, cheval elle-même, parmi les chevaux marins de la fontaine Carpeaux asséchée, à laquelle, d’un coup de baguette magique, elle fait don de l’eau ; elle entraîne dans sa danse spirale des centaines d’enfants tenant des drapeaux de tous les pays, qu’ils font couler dans l’eau pour leur substituer un bouquet de fleurs, signe du monde réunifié de l’au-delà des nationalités. Elle donne la baguette magique à un enfant trop petit pour danser, l’enfant de l’avenir, l’enfant métis. Puis, un peu à la manière du conte du Joueur de flûte, elle s’en va, un cheval à la main, suivie de tous les enfants qui voient en elle, peut-on croire, la promesse d’un mode meilleur, d’une métamorphose possible de l’être, d’une alchimie où le feu peut reprendre. Et Carolyn Carlson qui tout à coup se jette d’elle-même dans les jets d’eau glacée de la fontaine Carpeaux, lors du tournage un 10 janvier, pour danser encore (dans une sorte de reprise joueuse de la scène de la fontaine de Trevi de La Dolce Vita) est bien ici celle que René Char appelle de ses vœux, le " poète grand commenceur ". (...)

Le dialogue entre poésie et danse, sous-jacent au film La Momie à mi-mots, ne doit pas masquer cependant l’essentiel: l’échange entre danse et musique. Tout le film repose sur la musique qui, plus encore que le corps dansant de Carlson, est le personnage central dont l’essence est disséminée à travers plusieurs figures d’instrumentistes : les instrumentistes sont à la fois acteurs (ils font partie des mages qui mettent en place le rituel de momification) et compositeurs de la musique du film pour lequel ils ont écrit une partition originale. Le corps dansant de Carolyn Carlson prend sa véritable mesure au contact des instruments : instrument de musique lui aussi qui se déploie dans l’espace ; corps-son qui transforme le scénario en vibration. Aussi l’une des clefs du film est-elle la séquence où Carolyn, après la chorégraphie du dégagement, danse au milieu des instruments de musique qui ont œuvré à la "résurrection" de la momie : blason de l’alliance entre danse et musique. Ce que révèle surtout le réalisateur, dans La Momie à mi-mots, c’est le jaillissement d’une énergie, on ne sait si née de la danse ou de la musique. Le surgissement de l’eau de la fontaine Carpeaux, au moment même où Carolyn improvise sa danse dionysiaque au milieu des instruments de musique, est la métaphore la plus juste de ce que l’on garde en soi après avoir vu La Momie à mi-mots : noyau (antérieur à toute cristallisation verbale) d’infracassable énergie.

Le film de Laury Granier est une lanterne magique. La lanterne magique de La Momie à mi-mots substitue à l’opacité des murs de l’existence quotidienne, de surnaturelles apparitions, dépeintes, selon la formule de Proust à propos de la lanterne magique du narrateur enfant, " comme dans un vitrail vacillant " : un homme masquée, jouant du cor de basset ; le mouvement des chevaux de bois d’un manège d’enfants qui tourne sous l’immobilité de la statue d’un cheval de pierre ; la traversée de l’Achéron sous la conduite d’un Charon qui joue du piano bastringue ; un rituel de momification péruvienne au Champ-de-Mars ; un trio pour danseur de yoyos, harpiste et joueur de cristal à la lueur des torches ; un alpiniste qui escalade le sommet de l’Observatoire de Paris ; des anges-enceintes qui font tourner la roue du temps ; un Pégase aux ailes d’autruche, monté par la Renommée ; des cartes du monde qui planent, cerfs-volants... Au centre de ces surnaturelles apparitions, la lanterne magique éclaire les métamorphoses du corps dansant. Et voici que parfois elle parvient aussi à capter les impalpables irisations par lesquelles ce corps dansant soudain fait revivre (sortilèges de la mémoire involontaire ?) les danseuses de papier : danseuses de Baudelaire, Rimbaud, Trakl, Rilke, Valéry et Vigée. Le film de Laury Granier est un enchantement : par le rituel à vocation d’exorcisme, la lanterne magique rend à la momie et aux spectateurs, poètes en quête de corps eux aussi, leur chant.

 

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Révision : 12 avril 2003