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" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique. 

Genèse d’un film.

 

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I. 3. b. Interrogations personnelles sur la résurrection et la momification

Je n’ai pas arrêté tout au long de l’élaboration de mon film de réfléchir sur la résurrection. En fait, c’est aussi, peut-être, parce que des momies nous sont parvenues de toutes les grandes civilisations que l’illusion d’une croyance en une résurrection possible est permise (tel était du moins le fruit de mon imagination).

Les chrétiens ne croient-ils pas eux aussi qu’ils seront ressuscités après leur mort et qu’ils retrouveront Jésus Christ? Je me souviens d’en avoir parlé avec Jean Rouch qui m’a dit plaisamment: "Cela risque de faire beaucoup de monde au paradis!".

J’ai sans cesse eu en mémoire la Chapelle Sixtine du Vatican et la très belle restauration de la fresque de Michel-Ange, consacrée à la résurrection. Récemment le peintre Dali et sa femme ont fait, eux aussi, le choix d’être momifiés. Walt Disney, en demandant que son corps soit conservé sous une température très froide, a en quelque sorte, cru de son vivant qu’il pourrait revivre à une autre époque: l’exemple de Dali et de Disney m’a hanté pendant que j’écrivais le scénario, de même que l’image, au journal télévisé, d’une jeune femme momifiée en quelque sorte, dans la lave du Vésuve et retrouvée récemment à Pompéi. (Comment ne pas parler ici du Voyage en Italie de Rossellini, que Jean Rouch avait programmé à la cinémathèque française, dans lequel Ingrid Bergman découvre "les momies" de Pompéi et les squelettes des moines capucins de Naples? Dois-je évoquer aussi, dans le même registre, ma visite et ma vidéo récente, à Rome, de l’église des Frati Minori, dans laquelle des milliers de squelettes de moines capucins morts au cours des siècles passés sont entassés et exposés et servent de décorations dans les chapelles: crânes, hanches et tibias ciselés?)

À la même époque, pour intensifier ma réflexion sur la mort et la momification, je me suis rendu au musée Égyptien de Turin. Là, j’ai appris que les momies exposées se décomposaient dans les vitrines à un rythme effrayant. J’ai pensé alors que, si les pilleurs de tombes ont détruit la plupart des momies de Nazca, nos archéologues ne valent guère mieux qu’eux, car en définitive, c’est à la même destruction que l’on aboutira. Une seule solution, pour les conserver hors de leur sarcophage, hors de leur tombe, pour les garder dans les musées et préserver le sens pédagogique important qu’elles représentent, ainsi que le merveilleux témoignage du passé qu’elles incarnent: des vitrines à température constante, de la même façon que l’on est capable de conserver les oeuvres d’art dans certains musées.

Avant tout, ce sont les hommes eux-mêmes qui donnent naissance aux oeuvres d’art. L’homme est donc une oeuvre d’art à conserver, autant que les oeuvres d’art elles-mêmes.

Ce que j’ai vu au musée de Turin m’a paru extraordinaire: en Egypte, on momifiait aussi les animaux des défunts. Le raffinement des anciens Égyptiens donnait la vie éternelle à leurs propres animaux. Ils souhaitaient les retrouver vivants, eux aussi, tant ils les aimaient.

L’aspiration à la vie éternelle, la momification désirée de son corps, la croyance en la résurrection, ne s’explique pas sans la présence et la croyance absolue dans l’amour.

A Turin, si j’étais l’une de ces momies exposées, (donc donnant lieu à des visites engendrant des sommes versées pour la conservation des oeuvres d’art), si j’avais fait, comme elle, ce pari sur l’éternité et de mon vivant tout sacrifié au sens du sacré, et si mon corps, que j’avais voulu conserver et isoler de tout ce qui pouvait lui nuire en le momifiant, se retrouvait dans une vitrine entrain de se décomposer, je serais peut-être ressuscité de rage: je briserai la vitrine, ressusciterais mes chats, mes babouins et mes chiens momifiés, et en leur bruyante compagnie, je hanterais tous les esprits jusqu’à ce qu’on respecte enfin la croyance de mes frères et soeurs disparus (il y a bien sûr, dans ces spéculations comme une réminiscence de la momie de Karl Freund de 1932 avec Boris Karloff, film que j’admire beaucoup!).

La chance veut que, au moment où je termine ce chapitre commencé sous le signe de l’Egypte, je puisse enfin admirer, dans le cadre d’un festival de film égyptien à Paris, La momie de Abdel Salam (1969). Je savais que Jean Tulard avait qualifié ce film "de chef d’oeuvre absolu du cinéma mondial 32" et je désirai le voir depuis longtemps. Au moment où j’avais cherché un titre pour mon film, j’avais, bien sûr, ouvert les différents dictionnaires de cinéma sur le mot "momie" et j’avais découvert l’existence du film d’Abdel Salam. Je tiens à dire mon enthousiasme pour ce film car mes préoccupations s’inscrivent dans sa lignée. Il s’agit en effet de la lutte entre les archéologues et les pilleurs de tombes de momies pharaoniques à Louxor.

Au moment de la mort de son père, chef de la tribu des pilleurs de tombe, Wannis apprend que toute sa tribu a vécu du pillage des tombes des pharaons de plusieurs dynasties. Il apprend aussi que son père et ses oncles étaient les seuls à connaître l’entrée de la cachette où, il y a 3000 ans, les grands prêtres avaient transporté tous les sarcophages des pharaons.

Le plan où les oncles arrachent d’un coup de couteau les bandelettes d’une momie pour dérober, après décapitation de la tête, un médaillon en or, au signe éblouissant de l’oeil, m’a rappelé immédiatement mes souvenirs de momies péruviennes décapitées par les pilleurs de tombe.

Je pense que, dans le film d’Abdel Salam, Wannis a choisi de révéler à l’assistant de Maspéro, l’archéologue, le secret de l’emplacement des tombes, dont il est, depuis l’enterrement de son père, le dépositaire, car il a réfléchi sur le respect dû aux morts, à la suite de la mort de son propre père. J’ai été émerveillé par les images où les sarcophages de cinq dynasties de pharaons sont sorties de la caverne de la montagne, sont portés comme pour de nouvelles funérailles à travers les ruines majestueuses de l’ancienne Egypte, sont placés dans un bateau à vapeur sur le Nil, puis sauvés par les archéologues, grâce à la prise de conscience du fils du chef des pilleurs de tombe. Abdel Salam a pris bien sûr, ici, le parti des archéologues et de la conservation de momies sans pour autant remettre en cause l’exposition des momies dans les musées et leur dégradation qui finalement risque d’aboutir à la désintégration de la momie. La notion même de rituel est-elle en effet sauvegardée dans les musées, où souvent le squelette est séparé de son sarcophage, de ses objets funéraires? Pour ma part, c’est la notion de rituel qui m’a le plus intéressé dans mon film, même si j’ai finalement recréé, de toutes pièces, un rituel imaginaire qui n’a que peu de choses à voir avec ceux de l’Egypte où de l’Amérique du Sud. Mon film a aussi pour but des souligner l’importance d’un rituel que nous avons souvent oublié et dont la fonction sociale était pourtant prépondérante.

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32 Jean Tulard, Guide des films, tome 2, éditions Bouquins, Robert Laffont, 1990, page 211.

 



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Révision : 11 avril 2003