" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique.
Genèse d’un film.
II. 2. e. 3. Michèle Finck - une figure initiatrice
Dès la toute première version du scénario, j’ai demandé à mon assistante Michèle Finck de participer en tant qu’actrice et de jouer un rôle dans la scène de la statue de L’Ecriture. Comme nous étions au jardin du Luxembourg pour écrire le scénario, j’ai souhaité lui montrer aussitôt cette statue, qui s’y trouve, pour imaginer avec elle la scène.
Depuis que je l’ai vue, la toute première fois, dans mon enfance, j’ai toujours beaucoup aimé cette statue. J’ai toujours cru, jusqu’à très récemment (où l’on m’a donné son titre et les explications correspondantes), qu’il s’agissait là, de "la comédie" incarnée par ce jeune garçon de bronze qui brandit devant lui un masque, tandis qu’à ses pieds, autour du socle, il y a d’autres masques. Oui, cet enfant personnifiait à coup sûr à mes yeux "la comédie", ou du moins "le jeu". Pour jouer la comédie, le sculpteur montre clairement qu’il faut demeurer un enfant. Avec cette attitude d’enfant rieur et joueur, on peut aisément manier plusieurs masques différents, à condition de savoir qu’une distance existe entre soi-même et le masque choisi, pour jouer son rôle au théâtre, comme dans la vie: telle était mon interprétation de cette statue que je proposais aussi volontiers à mes acteurs comme modèle du jeu.
J’ai alors imaginé que je pourrais habiller cet enfant de bronze d’une longue cape, faite en feuilles de papiers dactylographiés: les pages du propre scénario de La momie à mi-mots. Agencées entre elles de façon à former une sorte de large tissu, elles constitueraient la cape de cette statue que j’ai longtemps appelée l’Enfant comédie. Je voulais que cette cape, portée par cette statue dans le film, donne aux spectateurs l’occasion d’une mise en abîme: ils prendraient connaissance de l’existence du scénario du film, transformé en cape, en même temps que Carolyn enfant découvre cette cape, sur la statue. L’histoire de La momie à mi-mots deviendrait elle-même un accessoire du film. Carolyn enfant serait confrontée, un moment, à son avenir écrit. Le père de Carolyn (Philippe Léotard) serait lui aussi au courant du destin tragique et merveilleux de sa fille. C’est avec bonheur et malice qu’il devait faire endosser à Michèle, fée surgit d’on ne sait où, habillée de précieux tissus, comme les statues des reines de pierre du Luxembourg, cette cape-destin. Une complicité entre le père et la fée devait naître pour le bien de la fillette. On voit ici se poursuivre la trame du conte sur laquelle j’ai, à plusieurs reprises, insisté.
Je voulais, avant tout, que le personnage incarné par Michèle Finck, dans le film souligne l’importance du message de cette statue: rester enfant. La cape-scénario, portée, comme une traîne, par Michèle, jusqu’à Carolyn momifiée, devait faire de Michèle une messagère, capable d’intervenir dans des moments différents et d’apparaître à la fois dans l’enfance de Carolyn, à sa mort et enfin à sa résurrection. Parce que la cape avait été portée par l’enfant aux différents masques, avant d’être transportée, elle devenait une sorte de talisman, contenant le message de la statue de bronze. Carolyn, une fois momifiée, devait elle aussi porter un masque, comme un rappel de celui qu’elle avait vu, enfant, brandi par "l’enfant comédie". Cette cape soulignait l’importance du masque, que les mages imposaient à Carolyn dans la mort. L’arrivée de cette cape-scénario, portée par Michèle Finck, près de la momie, était aussi un clin d’œil au spectateur: on assistait bien au déroulement de ce qui était de tout temps prévu dans le scénario; il s’agissait d’une étape obligée pour que l’histoire ait un sens. C’était également en messagère que Michèle Finck apparaissait après la résurrection de Carolyn. Cette fois-ci, la cape avait disparu et Michèle offrait le scénario sous sa forme commune et reliée en simple dossier.
Au pinceau et à la caméra qui étaient offerts en présents à Carolyn ressuscitée s’ajoutait le don du scénario écrit. Peut-être, à travers ce nouveau don, était-ce le don de l’Ecriture, et le merveilleux pouvoir de raconter des histoires qui était donné à la renaissante.
Cette interprétation, qui a structuré mon scénario, a été confirmée par une découverte récente que j’ai faite. Je viens en effet d’apprendre que cette statue, que j’avais surnommée "l’enfant comédie", tout au long de ces années, s’appelle en fait l’Ecriture109. Son sculpteur, à la fin du siècle dernier, a voulu personnifier l’écriture dans cet enfant au sourire radieux. Il lui a fait brandir devant lui le masque-visage de Victor Hugo tandis qu’à ses pieds, il a disposé d’autres masques représentant les visages d’autres écrivains, parmi lesquels on peut reconnaître celui de Stendhal. Cette découverte récente du titre et du sens de cette statue éclaire et approfondit le sens de la scène que j’ai voulu faire jouer à Michèle Finck. Le scénario très écrit (dix versions successives au moins) de La momie à mi-mots était placé, sous la forme d’une cape, sur la statue allégorie de l’écriture. Michèle Finck, dont le rôle était écrit dans le scénario, devenait la messagère de L’écriture elle-même. "Rester enfant": cette injonction si importante dans ma première interprétation de cette statue (la comédie), reste cruciale dans la seconde interprétation. C’est en enfant qu’il faut écrire. Derrière l’écrivain se cache "l’éternel enfant". En remettant la cape de mots, devenue enfin le scénario recomposé, Michèle Finck se faisait la représentante de la parole écrite. Elle rappelait, peut-être, le message de l’admirable statue de l’Ecriture: "rester enfant". Comme pour donner corps à ce message, des centaines d’enfants apparaissaient dans la scène suivante.
109 Également appelée le Marchand de masques