" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique.
Genèse d’un film.
II. 3. b. Le repérage vidéo
Comment maîtriser l’autogénération de mon film? Bientôt le découpage technique ne s’est pas révélé suffisant. La nécessité du repérage vidéo s’est imposé à moi. La disproportion entre le scénario que j’avais envoyé à Carolyn et celui qui se formait peu à peu spontanément, au cours des semaines ayant suivi son adhésion, m’inquiétait. Allait-elle encore accepter avec les changements que j’avais introduits?
La présence d’une "star" de cette importance a provoqué en moi une recrudescence du désir de rigueur. Je voulais à tout prix être prêt. Je croyais alors qu’être prêt signifiait maîtriser au millimètre près les lieux de tournage, les déplacements des acteurs dans les lieux (je ne parle pas ici de la nécessaire maîtrise de la réalisation, des aspects techniques, que j’évoquerai plus tard). J’entendais laisser pour le tournage une très petite marge à l’improvisation, un travail de concert avec les acteurs. On verra en fait, plus tard, que cette marge d’improvisation se révélera beaucoup plus importante que prévue. Je me suis aperçu, peu à peu, que je préparais mon film à la manière dont je suppose que les stratèges préparent une bataille. Je développerai plus tard cette analogie entre le cinéma et l’organisation militaire; le film à réaliser est un objectif à atteindre par toute une équipe soudée autour d’un maître d’œuvre (sorte de commandant) qui est, peut-être, le seul entre tous à savoir où il emmène les autres (ou à faire semblant de le savoir, quand il se laisse guider par le hasard des signes) et qui se sert de chacun, pour parvenir à son but.
Le recours à l’utilisation d’une caméra vidéo amateur de repérage s’est imposée à moi pour établir plusieurs "plans de batailles". Je pensais que la visualisation permise par la lecture du découpage technique était beaucoup moins précise que les images du repérage vidéo. Celui-ci me paraissait indispensable pour toutes les explications, que j’aurais à donner aux différents partenaires concourant à la réalisation du projet.
J’ai procédé régulièrement à deux types de repérage vidéo: le premier m’a aidé à choisir définitivement le lieu de mon tournage et à le délimiter de façon précise, en fonction du cadre de l’objectif de ma caméra vidéo. Le second m’a fait revenir sur ces lieux, avec une (ou plusieurs) doublures, de façon à voir si la présence physique des corps et le cadre étaient en accord. Cela me donnait aussi des idées nouvelles pour la mise en scène à venir des acteurs et modifiait mon découpage technique. D’une façon économique, je pouvais visualiser, grâce à la vidéo, les séquences à venir de mon film. Certaines fois, j’ai pu travailler en vidéo, avec les acteurs eux-mêmes leur rôle sur les lieux pressentis (voir par exemple la partie consacrée à Roméo). Nous partions sans une idée trop précise du rôle de l’acteur. Mais j’avais pourtant très présents à l’esprit quelques images, quelques axes centraux, quelques émotions vers lesquelles nous devions nous efforcer de tendre. Nous improvisions à partir de ces éléments, jusqu’à ce que je sente que la note juste était touchée et je disais ensuite: "ça, pourras-tu exactement t’en souvenir et me le refaire les jours où nous ne serons plus seuls, et où nous tournerons avec toute une équipe et la caméra de cinéma!?" Je montrai alors en vidéo, dans le viseur de la caméra, ce que je voulais voir reproduit. L’acteur comprenait ainsi exactement ce que je souhaitais et notre dialogue était fécond.
On peut dire des repérages vidéos ce qu’Annie Comolli dit des "tournages expérimentaux" chez les cinéastes anthropologues: "Quant aux tournages expérimentaux, ils constituaient un véritable instrument de découverte, (...) même s’ils devaient être davantage considérés comme faisant partie des coulisses de la recherche que de la scène. (...) Ainsi les leçons qu’il tire des tournages expérimentaux serviront, ultérieurement, à conduire de façon plus satisfaisante les tournages non expérimentaux (habituels)" 113.
Nous avons vu, dans la partie consacrée au choix des acteurs, à quel point ces repérages vidéos ont été également déterminants pour obtenir l’adhésion de certains d’entre eux, en particulier de Carolyn Carlson et de Margret Brill. Dans tous les cas, cela permettait aux acteurs de se connaître entre eux, avant le tournage du film. Ces repérages agissaient un peu comme une promotion du film à venir. Du dire même des acteurs et des membres de l’équipe technique, les repérages vidéos "alléchaient" et donnaient envie de participer au film. N’ayant ni notoriété ni argent, je n’avais comme richesse à offrir que le projet, lui-même, illustré par les repérages vidéos. Parfois, j’avais recours également à la force de conviction de mes court-métrages cinéma et de mes réalisations vidéos. Il faut dire cependant que le travail vidéo que j’avais fait à Lille avec Carolyn Carlson et Michel Portal, était moins un repérage vidéo qu’une sorte de réflexion sur le rôle qu’elle devait incarner, quelques temps après, dans La momie à mi-mots, suscitait chez tous les autres acteurs et les techniciens un grand enthousiasme et le désir d’adhérer à cette entreprise. Parfois cela a aussi convaincu tel ou tel sponsor (par exemple la D. R. A. C. Île de France).
113 Annie Comolli: Cinématographie des apprentissages Fondements et stratégies, éditions Arguments, 1995, page 30.