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" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique. 

Genèse d’un film.

 

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II. 3. c. Le story-board

J’ai senti très vite, néanmoins, la nécessité de préparer encore davantage le tournage, en réalisant un story board très précis.

À l’époque où je remaniais sans cesse le scénario de La momie à mi-mots, il m’a été donné d’ouvrir le Festival Films for Arts "East meets West", au musée d’art moderne (Folkwangmuseum) de la ville d’Essen, en 1990. J’y ai présenté quelques clips vidéos (ceux-là mêmes qui avaient enthousiasmé Carolyn et qui lui avaient donné envie de travailler avec moi). Au cours de ce festival, j’ai rencontré la réalisatrice canadienne Céline Bissonnette (qui accepta plus tard d’être l’un des cadreurs sur La momie à mi-mots). C’est elle qui, lors d’une de mes expositions de peinture à Paris, m’a fait connaître le peintre Gérard Omez, dessinateur de publicité et de bandes dessinées, qui rêvait de travailler pour le cinéma. Saisissant la balle au bond, j’ai proposé à Gérard de lire mon scénario, pour qu’il me dise s’il pensait pouvoir collaborer avec moi à la réalisation de l’ensemble des dessins, que je croyais importants de faire pour visualiser encore davantage les scènes de mon film. Gérard, emballé par le scénario, a voulu se mettre au travail avec moi. J’aurai pu, certes, le faire moi-même mais je trouvais que, pour une première expérience, il n’était pas de trop d’être deux. De plus, j’étais ravi de cette occasion qui me permettait de réunir mes deux passions: le cinéma et la peinture (en l’occurrence le dessin).

Je venais d’ailleurs de recevoir un merveilleux ouvrage des dessins de Federico Fellini et j’étais influencé par les mots du maestro dont j’aime profondément l’œuvre:

"le scénario représente la phase verbale, littéraire, dans la fabrication d’un film. Mais il arrive souvent, pendant la période de préparation que je dessine des schémas, des esquisses, parce que je veux tirer au clair et mettre au point visuellement un décor, une situation, un rôle, le costume d’un certain personnage, ou une ambiance, un état d’âme. Ces idées incidemment venues, ces "produits du hasard" (...) sont comme les poteaux indicateurs, les points de repère, qui permettent ensuite à mes collaborateurs (décorateurs, costumiers, maquilleurs) de s’orienter, de se diriger." 114

Avec Gérard, nous nous sommes enfermés chez moi, pendant plusieurs jours. Le découpage technique nous permettait de cerner de très près l’action et les changements de plans. Les repérages vidéos, sans acteurs, nous donnaient une image précise des décors et des lieux. Les repérages vidéos, avec les acteurs ou les doublures, nous permettaient de faire des dessins très ressemblants. Carolyn, comme dit précédemment (partie consacrée aux choix des acteurs), avait été extrêmement sensible à ce story board et s’était trouvée très réussie. Elle m’a dit gentiment que ces dessins faisaient penser à ceux d’Hugo Pratt. Ce légendaire dessinateur de bandes dessinées était d’ailleurs son ami de Venise et il l’avait représentée, dans l’une de ses bandes dessinées. L’ayant reconnue moi-même, mais ignorant qu’une telle amitié les liait, je cherchai aussitôt l’album Fable de Venise et nous retrouvâmes les pages correspondantes 115. Le visage de Carolyn, sous les traits de "Hipazia la Divine", recevant, dans son très beau palais vénitien, le héros Corto Maltese, avait toujours été un moment fort, gravé en moi depuis longtemps.

Gérard et moi avions trouvé une excellente méthode de travail. Gérard tenait le crayon de papier et la gomme et je m’apercevais que j’étais en train d’affiner de plus en plus ma mise en scène. Après avoir visualisé en moi le plan à dessiner, avoir retrouvé les documentations s’y référant, je décrivais à haute voix la scène. C’est ainsi qu’il a dessiné, sous ma direction, plusieurs centaines de croquis. J’ai eu la joie de voir naître, peu à peu, grâce à son sens de l’espace et son coup de crayon rapide et exemplaire, l’ensemble du film sous la forme d’une grande bande dessinée. Je prenais aussi conscience, plan par plan, de l’importance du tournage à venir, et de toutes les mises en place nécessaires, à la réalisation de ces dessins, avant qu’ils accèdent à la vie cinématographique.

Notre principe était, pour les scènes dites difficiles ou pour les plans qui impliquaient des mouvements de caméra à l’intérieur du plan ou de variations de focales, de diaphragme ou de point, de faire plusieurs dessins. Dans ce story-board, nous ne nous sommes pas contentés de la mise en scène des décors, des costumes et des acteurs, mais nous avons indiqué très précisément où se plaçaient la ou les caméras, les sources d’éclairages.

Je voulais que, grâce à cette présentation dessinée du film, le chef opérateur, les cadreurs et le chef de plateau puissent travailler aussi efficacement que possible et donner toutes les indications aux autres techniciens afin que je puisse moi-même, lors du tournage, me consacrer surtout au travail avec les acteurs.

Dans mon idée, nous nous dirigions donc vers un film dont le tournage, suivi à la lettre, devait en grande partie être programmé et réglé au millimètre à l’avance et comportant peu d’initiatives imprévues de la part de quiconque. Je dois répéter ici que c’est la peur de ne pas être à la hauteur de Carolyn Carlson qui me faisait travailler de la sorte et quadriller mon film de toutes les façons possibles.

C’était compter sans le démon de l’improvisation, dont on a déjà vu l’effet sur moi, au moment du choix des acteurs, et de la métamorphose continuelle du scénario. En réalité le story-board a contribué à motiver tous les acteurs et l’équipe technique, avant le tournage, et à me faire réfléchir sur beaucoup d’aspects du film dont je prenais conscience à mesure que nous avancions. Mais, comme nous le verrons, le story-board ne sera suivi que d’assez loin, comme une toile de fond à partir de laquelle je donnais libre cours à mon imagination. Cela provoqua, d’ailleurs, quelques ennuis avec ceux pour qui le story-board constituait une référence absolue à ne jamais transgresser. Le plus souvent, il était affiché chaque jour sur le lieu du tournage et servait pour tous de points de repère. Pour moi, il servait surtout de point de départ pour de nouvelles explorations

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Dès la phase du pré-tournage, je sentis que luttaient ainsi en moi deux exigences: la rigueur (respecter le plus possible le scénario, le découpage technique, le story-board) et la liberté de l’improvisation.

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114 Fellini ses dessins, éditions Paris audiovisuel, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 1982, pages 5-6.

115 Hugo Pratt, Fable de Venise, éd. Casterman, 1981, pages 27 et suivantes.

 



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Révision : 11 avril 2003