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" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique. 

Genèse d’un film.

 

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II. 6. b. La nuit précédant le tournage

En relisant mon découpage technique et en regardant le story board, je remis tout en question une nouvelle fois, tant et si bien qu’à deux heures du matin je décidai de me rendre sur les lieux du tournage, pour me faire une idée des modifications à faire, sur place. Il va sans dire que je ne conseille à personne cette méthode, car elle peut être éprouvante et dangereuse. Une bonne forme physique est en effet particulièrement indispensable avant la redoutable épreuve du tournage.

Pourtant dans cette nuit froide et ventée de janvier, je me suis approché, en longeant les grilles le long du jardin du Luxembourg, de mon lieu de tournage, rue Guynemer. Bientôt, dans quelques heures, tout allait commencer pour moi, ici. Je l’appréhendais. Serai-je à la hauteur?

Je levais la tête pour regarder, au-dessus des pointes des lances dorées formant la grille, les branches des arbres sans feuilles. Elles craquaient, agitées par les courants d’air. Je compris soudain qu’un élément important et décisif m’avait appelé si tard, en ce lieu.

Juste à l’aplomb du parcours que Carolyn Carlson emprunterait le lendemain, pris au sommet d’un arbre, une sorte de long voile de tulle blanc tournoyait comme un drapeau.

Grâce à l’éclairage des hauts réverbères proches, je pus mieux voir ce que je venais de prendre pour un merveilleux enchantement. J’avais cru apercevoir le long voile de tulle dans lequel Carolyn ressuscite à la fin du film, alors qu’il ne s’agissait que d’une longue bande de plastique blanc qui, ayant été déchirée par le vent, provenait sans doute de quelques échafaudages voisins et avait volé jusque-là pour se prendre à cet arbre, dans le champ du décor de mon film.

Mais cette première réaction m’inspira aussitôt une modification d’importance pour la mise en scène du lendemain. En filmant cette bande de plastique blanc, un très court instant, d’en bas, flottant ainsi au milieu des arbres, je pourrais sans doute provoquer chez le spectateur la même illusion que j’avais eue en l’apercevant: peut-être le prendrait-on pour le voile de tulle; à tout le moins, il le suggérerait.

Je compris que je devrais donc signaler à Carolyn une modification essentielle dans son parcours du lendemain. Il faudrait qu’elle réussisse à intégrer la présence de cette sorte de tissu blanc à sa chorégraphie, de façon à ce qu’il devienne le signe annonciateur de sa résurrection à venir. Pour cela, je réfléchis que je lui conseillerais de marquer un temps d’arrêt et que je lui demanderais de regarder en direction de la cime de cet arbre. La caméra poursuivrait alors son regard et se dirigerait finalement, un instant, sur cette étrange apparition.

La première séquence que nous allions tourner, revue et corrigée par le destin au cours de ces derniers instants, débutait donc sous les meilleurs auspices. Le voile de tulle blanc, signe de blancheur lié à la résurrection de Carolyn dans mon film, s’était imposé à moi comme par l’évidence du rêve.

Cette nuit-là, à la veille, de la première journée de tournage (si redoutée par moi), je crus - peut-être à cause de l’intense fatigue accumulée au fil de la préparation - face à mon décor, ainsi modifié par cet élément nouveau, que mon tournage était voulu par les constellations du ciel.

En déposant ce linceul blanc au faîte de cet arbre, le vent avait modifié mon scénario et cela, à quelques heures seulement de l’instant fatidique. Le vent avait apporté une idée nouvelle, chargée d’un sens nouveau. Nouvel hasard? Nouvelle nécessité? En tous cas nouvelle transformation.

Enchanté et exalté par cette découverte, je rentrais de cette promenade nocturne chez moi. Bien sûr, des questions subsistaient: retrouverais-je le lendemain à la même place cette bande de plastique flottant dans les airs? Le vent ne reprendrait-il pas ce qu’il m’avait apporté? Et si cela n’était que la base d’une idée qu’il me faudrait réaliser autrement le lendemain? Je décidais donc d’aller, une fois chez moi, rechercher l’immense voile de tulle, plié dans un coin, pour le placer avec les accessoires prévus pour le lendemain. Je demanderais aussi que l’on emporte l’échelle afin de pouvoir le placer dans un arbre au cas où aurait disparu l’ersatz que je venais de quitter.

Néanmoins, je priais en moi-même pour que ce voile de plastique ne soit pas déchiré par le vent pendant mon sommeil et pour qu’il ne s’envole surtout pas de son perchoir. S’il venait à disparaître, je craignais de devoir souligner d’une manière trop manifeste cette idée en plaçant en guise du cadeau céleste le véritable voile de tulle. Je préférais suggérer l’existence à venir du voile par cette licence poétique dictée par la nuit.

Quels temps aurait-on le lendemain? Cette question n’avait pas cessé de me préoccuper, tout le long des quelques jours précédents le tournage. Certes, la météo consultée le jour même ne prévoyait pas de catastrophe, mais elle n’avait pas annoncé non plus un grand beau temps. J’avais donc pris le parti de tourner avec le temps qu’il ferait, quoi qu’il arrive. Peut-être le temps idéal serait-il envoyé, comme cet étrange voile, pour éclairer au plus juste La momie à mi-mots.

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Révision : 11 avril 2003