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" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique. 

Genèse d’un film.

 

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III. 1. a. 2. La première journée de tournage

Peu après mon réveil, je dus aider à charger et à décharger le matériel prévu pour le tournage. L’accessoiriste Olivier Vit s’étonna en présence de nouveaux accessoires et m’interrogea à leur sujet, car il craignait de ne pas les avoir répertoriés et de les avoir oubliés. Je le rassurais en lui disant qu’il s’agissait d’une idée de dernière heure et que son consciencieux travail n’était pas en cause.

Nous disposions alors d’une camionnette et nous déballâmes tout notre matériel chez Monique Contencin. Petit à petit l’équipe, convoquée très tôt pour la préparation du plateau, se réunissait, en cette matinée encore nocturne de l’hiver parisien, autour de réconfortantes boissons chaudes. Je voyais que tous avaient plaisir à découvrir la maison qui constituerait notre base pendant cette première journée.

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J’avais demandé à mon ami Philippe Goldman, l’assistant plateau et à d’autres membres de l’équipe de commencer à préparer le plateau du premier plan de la matinée.

J’ai dit que j’avais prévu un premier plan facile. Il s’agissait en fait d’un long plan séquence, que nous devions tourner sous la forme d’un travelling, le long des grilles du jardin du Luxembourg.

Carolyn Carlson, la principale figure de ce plan, devait sembler enfermée dans le jardin. Elle avait à rejoindre, derrière les barreaux de cette sorte de cage, en quelques étapes, une guérite-vitrine, où l’attendaient Michèle Finck (en figuration dans ce plan) et Alain Cuny dont nous espérions encore la venue. Tous trois devaient se côtoyer devant la maquette du jardin, tandis qu’Alain Cuny aurait à prononcer, à voix haute, la seule phrase du film. J’avais pensé que ce plan serait simple à réaliser, car il n’y avait pratiquement que Carolyn en scène, du moins pour la première partie de la séquence. Je comptais, pour faciliter le travail, sur l’expérience professionnelle de Carolyn Carlson et sur sa forte personnalité qui imposerait d’emblée le respect du reste de l’équipe. Sans doute sa² présence susciterait-elle une curiosité et peut-être même un enthousiasme communicatif. Le soutien de tous les participants en découlerait.

Mais voilà que l’on me signalait, par talkies, du plateau, qu’il semblait impossible de réaliser le plan comme prévu. En me dirigeant vers mon décor, je ne manquais pas de regarder de loin, dans le faible éclairage de ce début de matinée grise et hivernale, le sommet des arbres sans feuilles, pour voir si mon grand plastique tenait encore, ou s’il s’était évanoui. J’étais anxieux d’apercevoir la bannière de plastique sur son arbre perchée. Lorsque je l’aperçus, qui se balançait à l’emplacement où je l’avais découvert pendant la nuit, je fus rassuré. Si elle voulait bien demeurer en place jusqu’au tournage, nous éviterions de salir l’authentique voile de tulle et de perdre un temps considérable à le nicher de la sorte.

Je découvris sur mon plateau que l’on avait démonté tous les sièges à l’intérieur de la Fiat 500 que ma mère m’avait prêtée pour la durée du tournage et qui devait me servir, grâce à sa faible dimension, à réaliser les travellings.

N’ayant pu obtenir le matériel nécessaire pour disposer d’un vrai travelling, au cours de mon tournage, j’avais pensé que nous pourrions utiliser ce véhicule, comme je l’avais fait autrefois à Berne: j’avais fait asseoir en tailleur, au cours d’un tournage en V. H. S. , un ami suédois, sur l’impériale de ce véhicule. Il devait y lire la bible et traverser la place fédérale suisse, de cette manière 132.

Pour La momie à mi-mots, je souhaitais me servir de l’impériale comme d’une petite plate-forme, et de la voiture comme d’une sorte de dolly qui, poussée et freinée à la main sur le trottoir, me permettrait de réaliser mon travelling.

J’avais cru, lorsque j’avais demandé que l’on se serve de cette voiture pour réaliser le travelling, que cela irait de soi (nous avions d’ailleurs obtenu les autorisations, auprès du commissariat du 6ème arrondissement, pour la faire rouler sur le bout de trottoir longeant les grilles). Je ne m’attendais donc pas à voir tous les fauteuils et l’une des portières démontés, posés pêle-mêle au milieu de la rue 133!

Après quelques essais infructueux, Philippe m’avait fait signe car il était impossible, en plaçant la caméra dans l’habitacle du véhicule, d’obtenir le cadrage pressenti.

Après avoir exposé ma façon de réaliser techniquement ce travelling, je compris qu’à l’avenir je devrais expliquer, plus clairement, à mon équipe, ce qui pour moi était évident. Il fallait que je fasse des efforts en pédagogie! J’éviterai ainsi d’avoir à faire face à de désagréables surprises engendrant de telles pertes de temps! Bien sûr, leur dis-je, il suffisait de mettre quelques planches de bois sur l’impériale! On obtenait ainsi une plate-forme suffisamment confortable pour soutenir l’un des opérateurs et surtout on évitait ainsi de démonter la voiturette!

Pour le tournage de ce plan-séquence, je prévoyais qu’une deuxième caméra se tiendrait cachée, hors du champ de la première, derrière l’un des montants en pierre situé entre deux parties de la grille de clôture du jardin. Là, Céline, le deuxième cadreur, suivrait, de face et en gros plan, les expressions du visage de Carolyn. C’était pour moi important d’avoir un deuxième point de vue.

Je devais rentrer à la base car la costumière et l’ingénieur du son étaient arrivés. 

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Dans le talkie, une sorte de chant d’oiseau, le français de Carolyn, me saluait et m’avertissait de son arrivée.

Elle me remercia tout de suite de lui avoir envoyé une voiture et mon assistante Valérie Second pour la chercher. Je n’étais pas peu fier, pour ce tournage sans argent, de lui annoncer que cette Cx était à son entière disposition pour tous les jours à venir. Cela lui fit plaisir.

Avec Michèle Finck, je lui fis découvrir la maison. Elle s’y plut aussitôt beaucoup et se précipita vers le story-board largement étalé près du grand buste de Napoléon. C’était en effet le story-board qu’elle avait tant aimé et qui l’avait encouragé à accepter de participer à La momie à mi-mots. Pendant que Michèle devait s’occuper d’elle, et la conduire avec sa costumière à sa loge pour se préparer, je dus m’occuper, comme prévu, d’expliquer comment faire marcher un D. A. T. à l’ingénieur du son, Jean-Philippe Leroux 134

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Grâce à Elison, nous disposions pour le tournage, comme pour mes précédents enregistrements, d’un D. A. T. muni d’un casque, d’une perche reliée à deux micros stéréo pour le son, et de deux petits amplificateurs pour les micros (c’est également Elison qui avait prêté les talkies et le mégaphone). J’avais prévu un bon lot de cassettes numériques pour l’enregistrement des sons. J’expliquai rapidement les fonctions de base de l’ensemble à Jean-Philippe, curieux de tester ce nouveau matériel numérique directement sur un tournage (il ne s’était servi jusqu’ici que de Nagras ou d’Uher pour enregistrer le son en analogique). Il disposait de quelque temps pour se familiariser avec ce matériel, faire les mises au point utiles et les essais, en attendant le début du tournage.

"Via" talkies, Philippe m’avertit qu’ils étaient prêts à répéter avec des doublures. Les caméras étaient en place. Comme je l’ai dit, Michèle Finck, mon assistante, devait apparaître dans cette séquence et s’habillait avec Carolyn. Je ne pouvais donc plus compter sur elle pour m’aider sur le plateau. Nous attendions avec de moins en moins d’espoir Alain Cuny et je sentais l’ombre d’un reproche qui planait sur moi pour avoir annoncé son arrivée et sa probable participation.

Nous attendions Cuny, mais ce fut le soleil qui apparut à sa place. Comme j’atteignais le plateau, il m’aveugla. Cette apparition du soleil était vraiment inattendue, d’autant plus que les prévisions-météos n’étaient pas optimistes.

Le reste de l’équipe, demeurée à la base, devait me rejoindre dès que je leur signalerai la fin des essais caméras. La question du cadre était très importante et je désirais que figurent des éléments bien précis dans l’image. Je fis remarquer au cadreur les éléments que je ne voulais pas rater. L’une des personnes présentes servit de doublure et fit sommairement le déplacement que je souhaitais voir faire par Carolyn.

Plusieurs personnes poussaient tout doucement en avant la Fiat 500, sur le toit de laquelle j’étais moi-même installé pour expliquer au cadreur, Alexandre Kaufmann, les teneurs et les contraintes du plan-séquence.

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Il fallut mettre au point, entre tous ceux qui poussaient le véhicule, un code et une technique de respiration, pour qu’aucun à-coup lors des déplacements plus ou moins brusques, ne se ressente dans les prises de vues. Je dus signaler à Céline, qui tenait l’autre caméra, le grand plastique juché au sommet de l’arbre, que Carolyn aurait à regarder.

Comme nous avions un métrage de pellicule très réduit (je m'étais imposé de ne faire que deux prises au grand maximum), je comptais beaucoup sur la préparation et sur les répétitions, de façon à ne tourner que lorsque la scène se présenterait aussi bien que possible à mes yeux.

Cette méthode de tournage était dictée par la pauvreté de la production. Cela oblige, bien sûr, à une rigueur absolue dans la gestion de la pellicule: Carolyn ferait autant d’essais qu’elle souhaiterait, pourvu que les moteurs des caméras ne tournent pas. Nous répétâmes enfin avec Carolyn. Le soleil semblait vouloir soutenir l’expérience par sa présence incessante. Un de ces larges soleils d’hiver, qui éclairent mieux que le meilleur des chefs opérateurs. Il s’était placé un peu de côté, éclairant par derrière tout le plateau. Il mettait en relief la robe orange et le châle lie-de-vin que Carolyn portait. 

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Il était à nos yeux un signal de départ; nous allions tourner et de toute évidence sous sa bénédiction! Il entretenait de ses feux un merveilleux rapport de couleur entre les teintes rouges des tissus, qui se détachaient au premier plan, et les fonds verts luisants de la végétation du jardin.

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Carolyn, pendant les répétitions, avait cherché à intérioriser l’espace dans lequel elle devait évoluer. Pour ce premier plan, qui était d’une grande dimension scénique, son déplacement avait été long à maîtriser. Elle devait mémoriser des marques, discrètement dérobées au regard des caméras, où elle devait s’arrêter pour caresser, par exemple, un tronc d’arbre, ou, pour lever la tête vers le long plastique qui s’agitait dans l’air.

Pendant l’une des nombreuses répétitions, un incident contribua à me faire prendre plus tard, une décision importante pour le restant du tournage: Jean-Philippe Leroux, l’ingénieur du son, me fit part d’une inquiétude technique avec le D. A. T. . Cette machine, qui avait bien fonctionné, lors des essais du matin, refusait maintenant d’enregistrer. En vain, j’essayais de mettre en route l’enregistrement, rien y fit. Je dus téléphoner chez Elison pour qu’ils m’indiquent à nouveau la marche à suivre. Il marcha enfin. Bizarre!

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Carolyn n’avait pas souhaité répéter ni tourner avec la musique en play-back. Je lui avais fait écouter sur un appareil à cassette la musique pressentie pour cette séquence, que j’avais enregistrée avec les musiciens du film pendant les mois qui avaient précédé le tournage. Elle répéta donc ses déplacements sans musique, simplement en se la remémorant, et en écoutant surtout la musique intime des désirs de mouvements de son corps, en cherchant la juste inspiration et la juste position de son corps. 

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L’absence de musique et de play-back inquiéta aussi bien l’ingénieur du son que la scripte. Cette inquiétude gagna toute l’équipe et je demandais à Jean-Philippe d’enregistrer les sons les plus anodins (le froissement des tissus, la respiration de Carolyn, ses pas sur le sol) et l’ambiance du jardin. Mais de toute part, j’entendais les mêmes phrases incrédules qui se répandaient rapidement entre tous les membres de l’équipe: "il n’a pas enregistré la musique!" (ce qui était faux) ou encore: "comment va-t-il faire, lors du montage pour caler la musique sur les images, sans avoir filmé et enregistré avec Le play back?".

Je dis, pour rassurer et me débarrasser de cette rumeur inutile, que j’avais une solution, mais un autre bruit, hélas, circulait déjà: je venais de perdre la synchro de mon film... J’ignorais alors, fort heureusement pour moi, à quel point la perte de la synchro me déconsidérait auprès des habitués des tournages.

Nous tournâmes enfin le plan (j’avais finalement choisi de remplacer moi-même Céline à la deuxième caméra, pour filmer l’expression du visage de Carolyn).

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 Mais je m’aperçus que, malgré le nombre de répétitions importantes que nous avions faites, la deuxième prise était meilleure que la première: Carolyn avait encore inventé de nouvelles subtilités dans son déplacement; des presque riens, inattendus, s’étaient produits dans la seconde prise et l’amélioraient grandement.

Comme à Lille, lors de son spectacle avec Michel Portal, Carolyn améliorait beaucoup, d’une fois sur l’autre, son travail. C’est une perfectionniste. Je fus donc aussitôt tenté de tourner une troisième prise.

Hélas! je pressentais que cela aurait de fâcheuses conséquences pour le budget de la pellicule, dont j’étais aussi le responsable. Le réalisateur en moi était tenté de prendre un peu le parti du directeur de production (toujours moi). Celui-ci voulait interdire de tourner une troisième prise, en rappelant la difficulté qu’il avait eu pour obtenir les quelques boîtes dont nous disposions. Bien vite, le metteur en scène eut gain de cause et imposa impérativement la troisième prise. Il fit taire toutes les voix hostiles à sa cause: il qualifia de pingres et d’incompétents ceux (hélas toujours moi) qui n’avaient pas pensé à offrir de bonnes conditions de travail! S’il manquait de la pellicule, ils auraient à trouver les boîtes supplémentaires et nécessaires pendant le tournage!

Je m’accordais donc le droit, du moins pour les plans où Carolyn devait intervenir, à une troisième prise. J’espérais ainsi bénéficier des sensibles améliorations, d’une prise à l’autre, du jeu de Carolyn. J’avais certes pensé à supprimer la première prise, en faisant alors taire les moteurs des caméras, et de transformer ainsi cet essai en une nouvelle répétition générale. Je n’arrivais cependant pas m’y résoudre car elle pouvait, placée au terme des répétitions, s’avérer être la meilleure des prises et ceci pour d’autres raisons que celles de l’interprétation. Le cadre, la lumière, le jeu de la figuration, les apparitions imprévues dans le champ constituaient en effet autant d’éléments que j’aurai à considérer lors du montage!

La seconde caméra (sécurité sur mon plateau) et l’ajout d’une troisième prise de vue augmentaient considérablement les besoins en pellicule. Celle-ci est bien sûr l’une des premières composantes essentielles à tout tournage cinématographique. Ce besoin accru en matière première n’avait pas été prévu dans le devis initial. Je devrais donc faire les comptes avec mes producteurs!

Voici le bilan de cette première journée. Celle-ci n’avait finalement donné qu’un faible rendement de prises de vues utilisables: je n’avais tourné tout compte fait, au terme de cette journée, que ce que je m’étais proposé de faire pendant la première matinée, sur mon plan de travail initial. J’avais accumulé ainsi, d’emblée, un retard important!

Les Laury producteurs ne manquèrent pas de me signaler que nous allions au devant d’une catastrophe financière. Nous serions en manque de pellicule avant la fin de la première semaine de tournage. Je devais donc me résoudre à trouver l’argent pour acheter un surcroît de pellicule et je n’avais que quelques minutes pour réaliser ce projet, entre mes diverses activités, pendant les journées de tournage!

Les résultats des prises de sons de la première séquence étaient catastrophiques. Les bruits de la ville couvraient tous les sons délicats du jardin. C’étaient ceux qui m’intéressaient le plus. Les micros, bien que directionnels, et couvrant des spectres pointus de sons, avaient capté les bruits des moteurs et des bus. Cela desservait l’ambiance que je souhaitais créer et mêler aux musiques de mon film. Après les quelques tentatives de prises de sons de cette première matinée, je compris que je risquais d’avoir ce même type de son sur l’ensemble de La momie à mi-mots: nous allions tourner dans des décors naturels, situés en pleine ville. En effet, tous les lieux de tournages prévus se trouvaient à proximité de circulations automobiles. Cette nuisante "noise" desservait le propos développé dans le film.

Il me faut remercier à posteriori Carolyn Carlson, qui ne devait pas tourner initialement l’après-midi de la première journée. Elle m’a proposé de décommander ses activités de l’après-midi lorsqu’elle a compris que nous n’arriverions pas à tourner ce qui avait été prévu dans le plan initial de travail. En effet, lorsque nous terminâmes de tourner la première séquence, il était l’heure de déjeuner. Il était préférable de reporter à l’après-midi, ce qui était prévu en fin de matinée.

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Nous avions commandé le repas au Loft, restaurant (sponsor) situé non loin du lieu de tournage, boulevard Saint-Michel. Il fallait pour s’y rendre traverser le jardin en entier. Les propriétaires du Loft avaient préparé une grande tablée bien garnie, propice à une atmosphère sympathique. Carolyn avait préféré rester dans la maison du Docteur Contencin. Je la quittais, assise comme un ange sur un tabouret de la cuisine, et plongée dans un livre. Il s’agissait pour elle d’une importante expérience littéraire. Elle s’était récemment passionnée pour la lecture d’une traduction anglaise de l’Enfer de Dante 135.

J’ai pris congé d’elle pour rejoindre mon équipe au restaurant et en arrivant, je n’avais presque plus de force. J’ai eu un moment peur de ne pouvoir continuer à diriger mon film dans l’après-midi: je ressentais douloureusement les fatigues de la préparation du tournage et de ma promenade de la nuit.

Plus difficile à préparer, la deuxième séquence devait prendre beaucoup de temps et exiger une longue mise en place. Le soleil éclairait au mieux l’allée de notre tournage. Mais notre plateau n’était pas prêt. Je m’aperçus que malheureusement personne n’avait encore songé à retirer les chaises vertes en métal du jardin. Je dus, avec mon équipe, retirer une à une ces chaises inopportunes et les placer hors champ. Leur existence ne se justifiait pas et n’apportait aucun sens supplémentaire à ma scène. De surcroît, elles rendraient dangereuse la danse de Carolyn. De plus un sentiment de tristesse pouvait naître d’une danse au milieu de chaises inoccupées. Cette petite allée du jardin devait donc être dégagée de tous les accessoires inutiles.

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Il fallut toute l’après-midi pour réussir à tourner cette séquence. Il s’agissait, dans mon idée de départ, d’un long travelling à l’intérieur du jardin, le long d’un chemin qui mène à la petite statue de la Liberté de Bartoldi, (un original en bronze de la maquette ayant servi pour la construction de celle de New York). Carolyn devait s’y acheminer en cinq ou six étapes.

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À chacune de ces étapes, Carolyn rencontrait un personnage clé du film. Évidemment ces brèves rencontres devaient être mises en scène dans les moindres détails.

C’était pour moi une rude épreuve que de réaliser cette séquence. Toutes ces rencontres devaient s’enchaîner dans le temps et être réglées très précisément. J’espérais donner l’impression finale que ces rencontres surgissaient d’elles-mêmes: comme dans la réalité où nous faisons parfois des rencontres qui sont le miroir de nous-mêmes. Je voulais donner l’impression d’une improvisation. La longueur de ce plateau était d’environ deux cents mètres.

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Deux cents mètres à découvert, dans un jardin public, n’est pas un espace facile à tenir à l’écart des allées et venues de tiers imprévus. Je tenais à ce qu’il n’y ait, dans ce plan, rien qui soit laissé au hasard. Nous dûmes improviser un service d’ordre pour la circulation des personnes étrangères au tournage, aux abords de cette zone. Il fut très délicat d’interdire l’accès de la statue de la Liberté aux flots de touristes japonais qui, déversés par cars entiers, font un pèlerinage régulier au jardin du Luxembourg pour la voir. Comme nous n’avions pas obtenu l’autorisation de faire entrer un véhicule à l’intérieur du jardin, je souhaitais que ce travelling s’opère en caméra épaule. J’avais placé les deux caméras face à deux axes différents. La première, portée par Céline, couvrait le large champ de profil par rapport au déplacement de Carolyn; la seconde, portée par Alexandre Kaufmann, suivait l’action. Elle se trouvait près de moi, placé derrière Carolyn, et filmait les détails que j’indiquais, au fur et à mesure que je le souhaitais. Pour cette séquence, il m’aurait été impossible de filmer moi-même et en même temps de diriger l’action.

Comme pour le précédent plan, nous tournâmes plusieurs prises. Je choisis finalement de décomposer l’action de ce plan-séquence en plusieurs plans, ce qui me permit de reprendre sur mon épaule la caméra, dans la partie finale: lorsque Carolyn, dansant devant la statue de la Liberté, avec un masque qui représente le visage de cette statue, trouve une sphère représentant tout l’univers pour s’éloigner en la portant comme un lourd fardeau sur ses épaules.

L’essentiel de cette journée semblait acquis: je parvenais à "diriger" Carolyn Carlson, tout en lui laissant un espace de liberté et d’improvisation. Toute la difficulté de notre dialogue, qui s’affinait tout au long de la journée, résidait pour moi dans l’alliance entre une direction ferme et un respect souple de ses propres aspirations. Les moments les plus beaux étaient ceux où cette alliance était la plus réussie: par exemple le moment où je lui ai soudain demandé, en plein tournage, de prendre une orange qui se trouvait sur l’orgue de barbarie, et où elle a été dans mon sens et a donné à mon idée son maximum d’intensité, en jetant d’elle-même cette orange comme une boule de pétanque sur le sentier.

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 C’étaient pour moi des moments très exaltants, car ils étaient imprévus et que s’instaurait entre nous une miraculeuse complicité. J’avais l’impression que nous étions comme deux enfants et que nous nous stimulions, l’un l’autre, dans nos jeux.

Lorsque nous nous réunîmes chez le docteur Contencin, 

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à la fin de la journée, une heureuse atmosphère régnait parmi nous. J’étais moi-même soulagé d’avoir tourné ces deux séquences difficiles, mais un peu triste de n’avoir pas réussi à tourner tout le programme préétabli. En écoutant les sons que Jean-Philippe Leroux avait enregistrés, je pris la décision définitive suivante: j’abandonnais, pour tout le tournage à venir, toute nouvelle tentative de prise de sons directe.

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Au soir, nous avons quitté la maison de Monique Contencin, en essayant de la laisser aussi propre qu’elle nous avait été offerte. Cette maison avait très certainement contribué, dans une large mesure, à la réussite de cette première journée de tournage soit réussie.

Nous avons transporté chez moi tout le matériel. Nous avons préparé la seconde journée de tournage dans les détails, en rangeant les accessoires. Avec les assistants, nous nous sommes réunis pour envisager les difficultés du tournage du lendemain. Ma chatte Angela était présente et était ma grande conseillère! Il fallut aussi revoir, avec Philippe Goldman, les positions des caméras du lendemain et savoir exactement le nombre de plans que je souhaitais tourner.

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132 Il s’agit de Huîtres et demi, un petit court métrage que j’ai produit et réalisé, et dans lequel j’ai fait aussi les prises de vues. Cette sorte d’évangéliste illuminé assassine une femme. Elle ressuscite à la fin du film et mange des huîtres, près du fleuve l’Aare, en s’interrogeant sur la vie.

133 Ma mère qui devait m’amener plus tard Celte, ma chienne, qui devait jouer dans le plan suivant, vit en passant sa voiture désossée. Elle en fut légitimement inquiète. Je la rassurais, en lui disant que cette transformation était provisoire!

134 Jean-Philippe Leroux, ingénieur du son, (fils du compositeur Maurice Leroux) avait autrefois enregistré Michael Lonsdale lisant mes textes, pour le spectacle Autour du vidéopoème "la porte" que j’avais produit et mis en scène.

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135 Quelques années vont passer, et Carolyn va monter le spectacle Comédia en s’inspirant largement de la Divine Comédie de Dante, et en livrant une interprétation personnelle de cette oeuvre. J’ai assisté à une représentation de Comédia au Théâtre de la Ville. J’ai été impressionné par plusieurs éléments de sa mise en scène: notemment un énorme balancier (le temps) omniprésent, en enfer, et les apparitions personnelles de Carolyn comme danseuse, qui y étaient délicieuses. Je me souviens d’une image d’elle, prise encore une fois dans un immense voile de tulle blanc, flottant et s’envolant au gré d’un vent, soufflant du sol vers le plafond de la scène du théâtre. Cette image m’a aussitôt fait pensé à sa présence en chrysalide, dans La momie à mi-mots. Je suis heureux d’avoir assisté à la genèse de l’idée de Comédia, que j’ai pu revoir par la suite sur Arte.

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Révision : 11 avril 2003