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" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique. 

Genèse d’un film.

 

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III. 1. a. 3. La deuxième journée de tournage: le cauchemar

Il s’agissait d’une journée dont le tournage était particulièrement délicat. J’avais en effet prévu, dans mon plan de travail, une séquence très difficile: la scène de traversée de "l’Achéron".

Pour cette séquence, nous avions dû transporter à l’avance, grâce à l’aide de mon père, une barque que nous avions entreposée quelques jours dans un emplacement désigné par les responsables du champ de Mars.

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Au petit matin, nous sommes allés chercher cette embarcation pour la placer dans l’étang situé sous la tour Eiffel.

Carolyn, après avoir dansé sur la berge, devait s’embarquer et traverser ce petit plan d’eau. Cadré d’une façon ingénieuse, ce plan d’eau devait donner l’illusion d’une rivière 136.

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Nous devions installer dans la barque le pianiste Roland Godard (nouveau Charon!) et son piano bastringue,

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ainsi que Michel Deneuve qui, couché à la proue, devait tirer une corde, amarrée à l’autre rive, pour acheminer Carolyn de l’autre côté.

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Deux caméras devaient filmer la scène de deux points de vues différents: l’une d’elles serait située au premier étage de la tour Eiffel, pour cadrer en plongée cette scène. Cette caméra, ainsi située, avait deux avantages: tout d’abord, elle cadrait le bassin et permettait de suggérer l’idée d’une rivière. D’autre part, elle offrait un point de vue "semblable au point de vue de Dieu" (j’avais remarqué à l’université, en faisant un exposé sur Psychose d’A. Hitchcock, qu’il utilisait régulièrement des vues en plongée lorsqu’il voulait montrer qu’un de ses personnages ne pouvait échapper à son destin). De même, pour La momie à mi-mots, la traversée de l’Achéron devait donner l’illusion de quelque chose d’impitoyable: Carolyn allait inévitablement vers le territoire de la mort.

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L’autre caméra devait être placée de l’autre côté de la rive et attendre que Carolyn mette pied-à-terre. Grâce aux images prises de ce point de vue, tous les spectateurs auraient, eux aussi, traversé la rivière et se trouveraient prêts à accueillir l’héroïne. Elle mettait le pied sur le territoire, qui devait la conduire à sa grande dépression et à sa mort.

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En dépit de cette préparation minutieuse, cette matinée ne fut pas du tout aisée pour moi, bien au contraire.

À la différence de la veille, où le soleil était venu à mon secours, le deuxième jour le temps comme une menace, semblait s’être dressé contre nous. Une tempête, dans un ciel très noir, prenait place au-dessus de nos têtes. Certes, ce climat était propice à recréer l’atmosphère du chant troisième de l’Enfer de Dante, placé sous le signe de la figure du nocher Charon :

"Comme il disait ces mots, la lugubre vallée

D’un formidable choc est soudain ébranlée.

Souvenir qui me baigne de sueur!

Sur la terre des pleurs, déchaînant sa colère,

S’élève un vent terrible et que la foudre éclaire." 137

Mais ce temps travaillait contre nous et était annonciateur de la transformation de cette seconde journée de tournage en cauchemar.

La première difficulté était liée à la stabilité de la caméra, située en plongée, sur la terrasse du premier étage de la Tour Eiffel. En effet par talkie walkie, Pablo Rosenblatt, dont c’était la première journée de cadreur avec moi, m’annonça qu’il était pratiquement incapable de tenir la caméra stable, tant le vent était violent à cette hauteur. Il me dit qu’il craignait que les plans soient ratés. Je lui dis de faire au mieux. Je m’arrangerai au montage avec les meilleures images. Je ne voulais surtout pas renoncer à ces plans en plongée, où l’on devait apercevoir Carolyn s’avançant dans l’allée, longeant l’étang, et comme prisonnière sous les branchages nus de l’hiver, qui avaient l’air d’être des grilles (et qui rappelleraient ainsi la scène des grilles du Luxembourg, tournée la veille). Nous tournâmes la scène trois fois, pour donner le plus de chance possible à Pablo et avoir le maximum de bons plans à monter.

Qui plus est, toutes sortes d’ennuis techniques, liés à l’embarcation, nous firent perdre beaucoup de temps: il a fallu amarrer la corde bien solidement de l’autre côté. À chaque répétition de la scène de la traversée, le vent poussait l’embarcation contre les petits rochers de l’île aux canards, située au milieu de l’étang. Michel Deneuve, à la proue, avait des difficultés importantes à contourner l’île.

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Carolyn s’impatientait beaucoup dans le froid et menaçait de quitter le tournage. Elle a même voulu mettre fin à sa participation au film, tant elle a trouvé longue l’attente dans le froid. Elle interprétait le temps comme un signe contre sa participation au film. Je fus moi-même paniqué par ce désir si soudain qu’elle avait de tout plaquer: "I can’t do it" me répétait-elle. Et moi de lui dire comme une prière: "si tu ne le fais pas pour moi, fais-le au moins pour tous ceux, qui sont là, avec moi et travaillent depuis longtemps sur ce film. De plus, tu vois, même le temps est avec nous - c’est exactement le climat infernal de cette séquence!". Heureusement, Carolyn finit par comprendre le désarroi profond qu’elle me causait et accepta de poursuivre le tournage. Elle reprochait au cinéma les longues mises en places des accessoires et des caméras, alors que sa chorégraphie était prête depuis longtemps.

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Je dois ici remercier les dirigeants de la S. N. T. E. (Société Nationale de la Tour Eiffel) qui ont mis à notre disposition un local chauffé, pour que l’on puisse s’abriter et qui a servi de loge pour se changer. Je n’avais pas prévu pour cette seconde journée de "base", comme pour le tournage de la veille au Luxembourg, et c’est à la dernière minute, après que je leur ai fait part de ce besoin que les responsables de la S. N. T. E. ont trouvé un petit local, où nous avons pu tous nous réfugier.

Je dois ici mentionner un autre ennui de taille survenu au cours de cette seconde journée. On vînt m’avertir que le véhicule de régie avait eu des problèmes irrémédiables sur l’autoroute (j’avais chargé un stagiaire d’aller chercher les fleurs pour la séquence du lendemain). La perte de cette camionnette, désormais inutilisable et qui nous avait été prêtée, me causa un profond désarroi. Non seulement nous ne disposerions plus de ce moyen pour le transport des accessoires, mais je craignais de devoir rembourser son propriétaire et cela sans disposer de fonds nécessaires. Je perdis courage un instant, jusqu’à ce que l’on m’apprenne que le véhicule était assuré en dehors du tournage. Je pus donc me consacrer à la réalisation du tournage de la séquence de l’après-midi, qui me réservait d’autres difficultés.

Cette nouvelle séquence devait se dérouler non loin du bassin situé sous la Tour Eiffel.

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Le manège du Carrousel de la tour Eiffel, à l’entrée du Pont d’Iéna, servait de décor. 

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Carolyn, terrifiée par les forces du mal incarnées par le personnage de l’Homme Masqué, devait monter sur le manège. 

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Une poursuite s’engageait entre elle et l’homme masqué, dans le tourbillon du manège, au rythme endiablé du piano bastringue que frappait à coup de marteaux Roland Godard. 

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Nous avons tourné cette séquence avec une seule caméra. Je dois dire que je me suis heureusement entendu à merveille avec Pablo Rosenblatt, le nouveau cadreur. J’ai vraiment compris, ce jour-là, toute l’importance d’un parfait accord entre un cadreur et un réalisateur. Il a filmé la scène comme j’aurais pu le faire moi-même et j’ai pu ainsi me consacrer entièrement à la mise en scène (ce qui était rendu difficile par l’humeur de Carolyn, pressée d’en terminer).

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À la fin, je fis moi-même quelques plans de détails du manège en mouvement, à la nuit tombante. Il s’agissait de prévoir d’éventuels plans d’insert ou des plans de coupe, destinés au futur montage. Au moment du montage, ces plans d’insert me furent en effet d’une grande utilité: ils me permirent de raccorder cette séquence, avec celle que je tournerai plus tard avec les sonneurs de trompes. Ces plans tournés en fin de journée firent basculer dans la nuit, en un seul tour de manège, la séquence de la poursuite, tournée de jour.

Je dois avouer que, à la fin de cette journée où j’avais eu l’impression que le temps, les ennuis techniques et l’irascibilité de Carolyn s’étaient ligués contre moi, j’eus envie d’arrêter, à mon tour, tout le tournage: je n’en pouvais plus. Mon assistante Michèle Finck me demanda de continuer pour les autres, et me répéta une fois de plus la phrase de la petite fille, dans le Baron de Munchausen de Terry Gilliam: "Don’t give up, Baron!".

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136 J’ai moi même eu la chance de naviguer sur l’Achéron en Grèce lors de la vidéo Viatique à Dimitri Ratsikas, que j’ai produite et réalisée. L’Achéron est une petite rivière qui se jette dans la mer Egée, et dont la navigation (je devais le découvrir à mes dépens) est fort dangereuse.

137 Dante, la Divine Comédie, Diffusion J. Lazarus (traduction), 1988, p. 26. J’ai toujours été impressionné par le nocher gravé par Gustave Doré, et conduisant sa barque au milieu de la tempête. (p. 22).

 



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Révision : 11 avril 2003