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" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique. 

Genèse d’un film.

 

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III. 1. a. 4. La troisième et la quatrième journée de tournage autour de la fontaine Carpeaux: le métier commence à entrer!

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III. 1. a. 4. a. La troisième journée

Après une nuit fort agitée, où j’avais rêvé qu’un gigantesque incendie détruisait mon tournage le matin suivant, je me rendis au Bullier, point de rendez-vous et notre nouvelle base, qui devait recevoir l’équipe et le matériel de tournage. Jean Rouch m’y attendait. Il rentrait du Niger, et je fus heureux de l’y retrouver. Je repris un peu espoir.

Nous devions tourner, non loin du Bullier, autour de la fontaine Carpeaux, la séquence de la résurrection de Carolyn momifiée. 

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Comme je l’ai dit, le propriétaire du restaurant La Closerie des Lilas, à qui appartient le restaurant Le Bullier, situé en face, nous a donné l’hospitalité et nous a promis de nous nourrir pendant les jours où nous tournerions autour de la fontaine Carpeaux. J’espérais qu’en retrouvant un lieu chaleureux d’accueil, mon équipe et moi-même retrouverions aussi de la force et de l’énergie.

La fontaine était le décor du point central du dénouement de La momie à mi-mots. La résurrection de Carolyn momifiée devait se produire devant le bassin de la fontaine Carpeaux, sous les quatre danseuses soutenant la sphère de l’Univers, qui gravite autour de la terre. 

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Chacune de ces danseuses représente, comme je l’ai dit, l’un des quatre continents composant le monde (l’Australie n’était pas considéré comme un continent à part entière, du temps de Carpeaux). J’avais obtenu des responsables du square l’arrêt momentané des jets d’eau de la fontaine et un technicien spécialement venu pour l’occasion devait les remettre en marche à mon signal.

J’ai pu m’apercevoir que c’est ce jour-là que le tournage a pris véritablement tout son essor. Était-ce par la grâce de cette si belle matinée? Était-ce aussi par la présence de Jean Rouch qui me redonnait confiance? La beauté de la fontaine et le vert brillant de soleil sur les bronzes patinés par les jets continuels d’eau ont certainement contribué, ce matin-là, dans une large mesure, à impliquer chacun d’une façon plus féconde. Carolyn Carlson était très heureuse de découvrir ce lieu. L’hommage rendu par Carpeaux à la danse et sa future "résurrection" inspirait Carolyn, et elle oublia tout à fait sa mauvaise humeur de la veille. Il n’était plus question pour elle de quitter le tournage. L’enchantement du décor lui rendait moins pénibles les préparatifs. Elle me faisait penser au dieu romain des portes, le célèbre Janus bicéphale: une tête en colère et une tête radieuse. La difficulté était que je ne savais jamais vraiment sur quelle tête j’allais devoir compter. Cela créait sur le tournage un climat d’instabilité, qui tendit cependant presque entièrement à se dissiper ce jour-là.

Sous la fontaine, Carolyn devait se dégager de son couvre-chef, le masque de "diablada", 

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et de ses gangues de momie 138

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improviser une danse dans le bassin vide, 

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recevoir de la main d’un couple d’enfants une sorte de crosse-baguette magique, puis redonner soudain la vie à la fontaine, en faisant jaillir les flots. 

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Alors devait commencer une danse de résurrection, au milieu des divers instruments dont les musiciens s’étaient servis tout le long du film et qui apparaissaient soudain rassemblés. Quel programme pour cette troisième journée!

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J’avais découpé la première scène de façon à voir apparaître progressivement l’intégralité de la fontaine, au fur et à mesure que Carolyn se dégagerait de ses bandelettes de momie. Ce n’est qu’une fois ressuscitée, complètement sortie de sa chrysalide de momie et revenue à la vie, que Carolyn devrait laisser voir, derrière elle, la fontaine en entier. Il devait y avoir une impression d’harmonie entre la majesté de Carolyn réincarnée et la majesté de la fontaine.

Le soleil éclairait la scène et Jean Rouch, par sa présence et ses conseils, avait su calmer les appréhensions dues à mon cauchemar.

Pour la première fois, les diverses phases du tournage se déroulèrent rapidement, dans l’harmonie d’un travail d’équipe enfin réalisé. Nous pûmes accomplir tout ce qui était prévu au plan de tournage de cette journée.

De l’intérieur de la fontaine, en plongée, nous avons filmé Carolyn, dansant dans le bassin vide, et se plaçant, comme de bien entendu, dans l’encadrement des têtes des chevaux marins en bronze vert: j’admirais son sens de l’espace. Elle monta enfin sur les chevaux pour les caresser, et il y eut un moment d’intense communion entre ma mise en scène, la caméra et la danse de Carolyn. Je commençais seulement, ce jour-là, à goûter pleinement aux joies de la direction d’acteurs.

Cette journée était placée sous le signe de la grâce. Tout prenait place miraculeusement, comme nous l’avions dessiné autrefois dans le story-board. De nouvelles idées surgissaient du lieu même. Et bien qu’il y ait eu quelques réticences devant l’imprévu et devant mon penchant à l’improvisation (j’eus droit aux critiques de certains membres de l’équipe), je pus également réaliser ces idées nouvelles et fécondes.

Je profitai de la pause du déjeuner, qui avait lieu au Bullier pour tourner avec une équipe réduite quelques plans d’inserts avec les éléments du décor et les accessoires. Nous utilisâmes le vent qui faisait des plis dans le voile de tulle.

L’après-midi était consacrée à la séquence de la baguette magique. Deux enfants blonds, le fils et la fille de l’un de mes amis, se prêtaient au jeu pour l’occasion. Ils s’étaient endormis sur le bord de la fontaine. Carolyn devait réveiller Delphine et Cyprien qui lui remettraient la baguette, avec laquelle elle redonnait la vie à la fontaine, métaphore de l’univers.

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Pour que l’on comprenne bien cette idée, j’eus recours à un cadrage particulier: il fallait absolument que la bille bleue, située au centre de l’œuf de verre transparent, placé au sommet de la baguette magique 139, coïncide, dans la même image, avec le globe de la terre situé au centre de l’Univers, que les statues des danseuses cariatides transportent en une joyeuse farandole. Pour cela, il fallut placer la caméra dans l’axe, et par approximations successives réussir à substituer la terre à la bille bleue. Ce n’était pas facile, d’autant que Carolyn devait le faire dans un mouvement dansé. J’assurais personnellement ce plan à la caméra, jusqu’à ce que je sois sûr d’avoir obtenu l’effet souhaité. Carolyn avait un peu hésité à accepter de tourner cette séquence, car elle trouvait le symbole un peu trop appuyé à son goût. Face à la grâce de Delphine et Cyprien et la beauté de la baguette magique, elle accepta de le faire et comprit ce que j’essayais de lui dire: le symbolisme (qui n’était pas l’effet que je recherchais moi-même) s’effaçait de lui-même dans l’aura de conte créée par la simplicité de la rencontre entre le corps de Carolyn et celui des enfants.

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Elle s’enthousiasma tellement qu’elle me dit qu’elle voulait conclure sa danse au milieu des instruments par une danse sous les jets d’eau de la fontaine. C’était ce qu’elle m’avait promis de faire quelques mois auparavant et que je n’avais pas osé le lui rappeler, tant je craignais qu’elle prit froid. Elle s’était donc souvenue, spontanément, de sa promesse de danser dans l’eau froide de la fontaine, malgré la météo qui avait changé et le temps froid et gris. J’envoyais vite quelqu’un chez moi pour prendre des serviettes de bain, afin de pouvoir la frictionner, une fois la scène terminée.

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C’est ainsi qu’en plein mois de janvier, Carolyn s’élança dans l’eau glaciale, à l’assaut des chevaux mouillés et se fit doucher par la flambée d’eau jaillissante de l’une des bouches des tortues. Dans un grand moment d’enthousiasme, je me suis précipité moi-même dans l’eau pour mieux filmer Carolyn. Le rapport qui s’établit entre nous, mouillé, transis et heureux, est un de mes plus beaux souvenirs de tournage.

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Nous tournâmes à la suite la séquence de l’arrivée des mages. 

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Il s’agissait d’une subjective de Carolyn dans le bassin, et je m’étais, moi-même mis avec la caméra à la place de Carolyn. Malheureusement, je perdis l’équilibre et mouillai l’objectif de la caméra. De plus, il commençait à pleuvoir. 

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À la projection des rushs le résultat fut catastrophique et nous verrons que je dus organiser, à deux reprises l’année suivante, le tournage de cette séquence de l’arrivée des mages pour obtenir l’effet désiré.

Je mesurais, en comparant la deuxième et la troisième journée, à quel point l’expérience du tournage était celle d’une oscillation perpétuelle entre les extrêmes: désarroi profond et soudaine euphorie. Je compris que la difficulté était de toujours garder, en toutes circonstances, un équilibre à la fois physique et spirituel, sans lequel il n’y aurait pas d’avenir pour le film.

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138 Ce n’est que le 20 mai 1995, bien après avoir tourné cette séquence, que j’ai été amené à trouver dans René Lachaud, Magie en Egypte pharaonique et initiation, (Chap. La mort, c) Le Livre des morts, ou le chapitres de la sortie à la lumière) Dangles/ Traditions, 1995, p. 192: "Dès les premières lignes, le mort est assimilé à Osiris et, comme le dieu vert, il est mis au tombeau afin de pouvoir accomplir les métamorphoses qui lui permettront d’en sortir transcendé. La momie est descendue dans la Douat et placée au sein de l’équipage de la barque sacrée qui le fera naviguer à travers toutes les grandes nécropoles et les lieux saints du double royaume: Abydos, Hermopolis ou Héliopolis."

139 Je m’aperçois donc, que sous une autre forme, j’ai, en quelque sorte, sans le savoir, illustré dans mon travail de ces dernières années les merveilleuses histoires contées dans le Livre des morts.

 

 



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Révision : 11 avril 2003