" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique.
Genèse d’un film.
IV. 1. d. Visite de l’exposition Universeine - décision d’un tournage
Au cours de ce même été 1991, j’allai un peu plus tard visiter l’exposition Universeine, dont l’affiche m’attirait beaucoup: des petits bateaux naviguaient dans une sorte de sombre caverne, avec des personnes à bord. Je me dis qu’il s’agissait peut-être d’une promenade nocturne sur la Seine, à bord de petites embarcations. C’était en fait une exposition d’architecture organisée par le C. A. U. E. 148. Quand j’arrivai au lieu indiqué sur l’affiche, je me trouvai devant une sorte d’énorme hangar en banlieue parisienne.
C’était jour de relâche, mais une porte était ouverte. J’entrai et trouvai un préposé à l’entretien. Je demandai à cette personne s’il pouvait nous expliquer de quoi il s’agissait. Je croyais que cela avait lieu de nuit, mais pourquoi nous conviait-on, en pleine après-midi sous le soleil de l’été? L’homme me fit entrer dans le hangar et m’expliqua que l’on avait recréé la nuit artificiellement dans ce lieu: il m’accompagna jusqu’à un petit port où une quarantaine de bateaux en aluminium était accostés.
Lors des spectacles, les spectateurs embarquaient dans ces petits bateaux et partaient ensuite naviguer à leur guise, dans l’immense hangar qui avait été rendu étanche et que l’on avait rempli d’eau, pour le rendre pareil à une partie de la Seine.
Il s’agissait donc bien d’une promenade nocturne, mais avec des projections audiovisuelles sur tous les murs, racontant l’histoire de l’architecture des bords de Seine.
Aussitôt, en imaginant ce à quoi pouvait ressembler le spectacle, je lui parlais du film La momie à mi-mots. J’eus d’emblée l’intuition que je pourrais tirer parti de cet extraordinaire décor qui s’offrait soudain à moi. Ne pourrais-je pas raccorder la fin de la scène de nuit sous la fontaine Carpeaux (qui se terminait par un plan subjectif de la momie, regardant en plongée les reflets dans l’eau du bassin) avec une scène tournée dans les décors d’Universeine? Je lui dis que je serais heureux de me mettre en contact avec les organisateurs de l’exposition, pour leur demander la permission de filmer quelques plans de départ en petits bateaux, dans cette sorte de grand studio de cinéma.
Il me dit qu’il allait mettre au courant le concepteur de l’exposition et me donna son téléphone, pour que je lui parle de vive voix de La momie à mi-mots et de mon projet. Il me conseilla de revenir assister à l’exposition un jour ouvrable.
Quelques jours après, je m’étais mis en contact avec le directeur de cette exposition, qui m’avait invité à venir la visiter. L’idée que je filme quelques plans que je pourrais intégrer à La momie à mi-mots lui plaisait.
L’exposition s’ouvrait par un grand rideau de velours noir, qui coulissait et faisait apparaître le port où, à la queue leu leu, les petits bateaux en aluminium attendaient les visiteurs. Aidés par des animateurs, les visiteurs prenaient place dans ces bateaux. Tous possédaient un petit moteur électrique qui était surmonté d’une petite lumière verte. Les animateurs expliquaient rapidement le maniement de ces petits moteurs aux spectateurs et chaque embarcation partait, l’une après l’autre, chargée au maximum de quatre personnes.
Commençaient alors une quarantaine de minutes de dérive, dans le noir, avec des projections continues d’images sur les murs et les écrans, par lesquelles était contée l’histoire de l’architecture fluviale de la Seine.
Nous étions deux, à bord de notre petit bateau, mon assistante et moi, et j’étais très surpris par l’originalité de cette exposition.
Lorsque le spectacle fut terminé, je demandai à l’organisateur de me permettre de repérer l’endroit où je pourrais placer une caméra. Je souhaitais avoir une vue d’ensemble de l’exposition.
Il me fit monter sur une passerelle située à vingt mètre de haut. Elle dominait l’ensemble de cet ancien hangar, qui avait servi à un chantier de construction aéronautique, pendant la guerre.
De cette hauteur, je pouvais avoir une vision très large de l’ensemble des bateaux, dont les lumières vertes se réfléchissaient dans l’eau.
Je revins quelques jours après, avec Pablo comme assistant cadreur, pour filmer avec une pellicule très sensible (500 ASA), de nuit et sans ajout de lumière, le départ des petits bateaux.
Le tournage était particulièrement éprouvant en raison de la chaleur d’août, qui transformait le hangar en fournaise. J’eus l’idée d’utiliser la caméra Bolex, montée sur pied, comme pour un film d’animation: du vue par vue, toutes les secondes, sur le déplacement des petites lumières vertes, qui éclairaient et rendaient les spectateurs pareils à des silhouettes étranges se déplaçant au fil de l’eau. Il fallait éviter de filmer les murs et les écrans où étaient projetées les images d’architecture. (Je souhaitais utiliser cette exposition pour les besoins de mon film, et la partie concernant l’histoire de l’architecture n’avait rien à voir avec l’histoire de La momie à mi-mots). En soignant le cadrage, on pouvait éviter d’avoir dans le cadre ces images d’architecture, en se concentrant sur les embarcations, sur l’eau. Je pourrais faire croire au montage que cela avait été réellement tourné dans le petit bassin de la fontaine Carpeaux, comme un nouveau délire de la momie.
Nous fîmes développer les rushs. Le résultat était surprenant: ces dizaines de bateaux semblaient comme affolés, et allaient dans tous les sens, avec rapidité, sur le plan d’eau. J’étais content d’avoir obtenu une vision délirante de plus de la momie de Carolyn.
Je demandais la permission de revenir avec le personnage de l’homme masqué, et de le filmer tandis qu’il ferait monter les spectateurs à bord des petits bateaux. Je voulais en faire le maître des lieux, le passeurs des âmes, une nouvelle version de Charon, double de celui qui avait fait traverser l’Achéron à Carolyn, dans mon premier tournage.
Nous revînmes donc tourner avec l’homme masqué. Après avoir tourné la scène de l’embarcadère, je lui demandai de prendre place à l’intérieur de l’un des petits bateaux. Je mis alors en scène une histoire que j’inventai à mesure, en me servant du spectacle, que je connaissais bien maintenant. Celui-ci se terminait sur l’apparition d’un faux cygne télécommandé, qui traversait tout le plan d’eau, en s’avançant entre les embarcations et les spectateurs. J’étais heureux de cette coïncidence avec les plans que j’avais tournés du vrai cygne, sur l’étang, sous la tour Eiffel. Ils avaient trouvés place dans la partie de mon film consacrée au passage de Carolyn sur l’Achéron. C’était maintenant l’homme masqué qui, seul, sur l’un des bateaux à moteur, poursuivait dans la nuit ce faux cygne qui s’avançait agressivement, avec ses ailes prêtes pour la bataille, au milieu des autres embarcations.
Je tournai moi-même ces plans, assis dans une autre barque, à l’aide de la caméra Bolex, qui était fort difficile à manier sans pied, et dont la stabilité était rendue pratiquement impossible par le roulis de l’embarcation.
Encore une fois, j’avais su saisir au bond la balle du hasard, et je crois que ce fut finalement une chance pour le film.
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