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" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique. 

Genèse d’un film.

 

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V. 3. l. Exemple d’une séquence leitmotiv, qui devient la séquence centrale, autour de laquelle va s’agréger un grand nombre de séquences - la séquence dite "de la parque yo-yos"

J’ai tourné toute cette séquence le même jour et je disposais de beaucoup de rushs au montage. Je n’avais aucune idée précise de l’emplacement où seraient introduit dans le film les trois éléments (le danseur de yo-yos, la harpiste et la momie). J’ai déjà dit que je disposais d’une quantité démesurée d’images pour cette séquence: au cours de la projection du premier bout à bout, j’avais bien gardé près d’une demi-heure de plans pour cette séquence, tant j’avais eu du mal à me libérer de certains plans que j’avais tournés. Cette séquence était alors montée en un seul bloc.

Pour la projection à la Cinémathèque, cette séquence durait encore dix minutes.

Au cours du quatrième montage, j’appliquais les critères de sélection rigoureuse, décrits ci-dessus. Je voulais que le danseur de yo-yos apparaisse comme une sorte de mage-parque et qu’il projette violemment ses yo-yos autour de la momie. De cette façon, il semblait la charger de ses influx d’énergie spirituelle, pendant que la harpiste jouait de son instrument, en touchant les cordes de sa harpe, en direction de la momie.

J’ai déjà dit que je voulais qu’une sorte de rituel s’établisse entre la harpiste et le danseur de yo-yos et que, musicalement, ces deux personnages évoluent autour de la momie, point central du rituel.

Ce qui a été particulièrement difficile, fut de me décider à choisir dans la masse d’images dont je disposais (chutes comprises) celles que je devais absolument garder. Je ressemblais parfois au personnage de La dernière bande 156 de Beckett aux prises avec des montagnes de bandes sons enregistrées. Il fut également difficile d’imprimer un rythme à cette séquence. Pour cela, j’ai procédé de la même façon que pour tout le film. J’analysais chacune des images, en supprimant toutes celles qui comportaient les signes d’éléments extérieurs au film: dès qu’apparaissaient une personne, un chien ou une partie d’un décor que je n’avais pas prévus, ou qui n’étaient pas liés directement à mes trois personnages et à la statue de "la femme au bras levés", je les supprimais. Dès qu’il me semblait y avoir une répétition dans les mouvements de Roméo, le danseur de yo-yos, je la faisais disparaître. Je procédais de la même manière pour trouver les images de la harpiste. Les plans liés à la momie devaient être absolument tous différents. La momie ne devait jamais apparaître de la même façon. J’éliminais également toutes les répétitions concernant la statue de "la femme au bras levés", située derrière la momie (elle devait apparaître, de temps en temps, comme une préfiguration de la résurrection). Une partie de cette statue était recouverte du châle de Manille.

J’ai mis de longues semaines à comprendre comment ces divers éléments pouvaient fonctionner ensemble, dans la même séquence, comment ces divers plans marchaient, les uns par rapports aux autres, comment les rythmes frénétiques du danseur de yo-yos devaient répondre aux rythmes musicaux de la main de Margret Brill, la harpiste, comment la momie devait être le noyau central, autour duquel les deux personnages évoluaient. Il fallait surtout que le spectateur ne se lasse pas de ce rituel!

L’une des réflexions d’un spectateur, lors de la projection à la Cinémathèque, avait porté sur une perte de sens, à partir de la séquence de l’observatoire, jusqu’à cette séquence-ci. J’observais, à mon tour, qu’on pouvait effectivement perdre le fil du film à partir du moment où, dans le troisième montage, la momie disparaissait. Il fallait donc que le spectateur n’oublie sous aucun prétexte le personnage principal du film.

Je découvrais, en remontant toutes les séquences jusqu’à la résurrection, que la séquence "de la parque yo-yos" allait devenir le thème principal (leitmotiv) de toute cette partie du film, autour de laquelle l’ensemble des séquences allaient prendre place: la momie était l’enjeu des efforts de tous les personnages et de toutes les scènes, depuis la séquence de l’observatoire, jusqu’au moment de la résurrection.

Il fallait donc tresser toutes ces séquences autour du thème principal de la momie.

Il y avait à retravailler, en plus de la séquence de l’observatoire, la séquence du peintre, au Champ de Mars, la séquence dite "des cartes", celle de la Renommée, et enfin, l’envol des cerfs-volants, avant la résurrection.

La plus difficile des séquences à retravailler fut celle dite "des cartes", qui comportait plusieurs parties: il y avait, tout d’abord, le manège qui tournait avec les petites filles, l’arrivée de Jean Rouch, mage aux multiples cartes, la scène où il disposait les cartes au sol, avec la mère des petites filles, les petites filles qui improvisaient une marelle sur les cartes, pendant que les anges prenaient place sous le manège, et continuaient à le faire tourner, le départ de la mère des petites filles, et mon arrivée, sous les traits du peintre, pour aider à retrouver la grande carte du monde, enfin la transformation de la grande carte du monde, en un cerf-volant. Ces sept ou huit parties de cette longue séquence compliquaient infiniment mon travail.

En fait, il fallait que pendant cinq séquences, dont une comprenant huit parties, on n’oublie à aucun moment la momie installée, dans l’attente de sa résurrection, face à la fontaine Carpeaux, et que l’on ne se lasse pas de la revoir apparaître comme un leitmotiv.

Il fallait que le spectateur comprenne que c’était bien l’addition de tous ces efforts autour de la momie qui donnait à Carolyn l’impulsion nécessaire pour renaître, pour l’éternité.

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156 En particulier dans la mise en scène de Jacobi au Schiller Theater de Berlin que j’ai vue à ce moment là.

 



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Révision : 11 avril 2003