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" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique. 

Genèse d’un film.

 

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I. 1. Le scénario

Tout a débuté par le scénario, c’est-à-dire par une collaboration avec Michèle Finck. L’intensité de notre collaboration pour La momie à mi-mots exige que je consacre quelques lignes à nos travaux communs qui ont précédé ce film et qui en sont la matrice.

J’ai rencontré Michèle Finck en 1986. À l’époque, j’avais lu ses poèmes qui m’avaient enchanté et j’avais décidé de les intégrer dans ma première mise en scène de théâtre à Paris, montée autour d’une vidéo que j’avais tournée au Portugal sur le thème de "la porte":Autour du vidéopoème "La porte" (1987). L’actrice découverte par Eric Rohmer, Anne-Laure Meury, avait été l’actrice principale de cette vidéo. C’est elle aussi qui avait lu les poèmes de Michèle Finck, alors que Michael Lonsdale avait lu mes propres textes. À propos de cette mise en scène, Claude Vigée a écrit, dans son article La porte de Jade :

" Au rythme des voix alternantes, comme sur une double nacelle, commence le voyage vers un Portugal de rêve, bien réel pourtant que caresse l’oeil de la caméra: vibration des images, circulation des lieux et des êtres soumis à l’unique métamorphose, initiation à la vie secrète de la femme. Le nautonier passe à travers les quinze portes, comme Henri le Navigateur lancé à la conquête des continents inconnus. 12"

J’ai senti dès ce moment que Michèle Finck et moi-même formions un duo prometteur. Je dois souligner ici, avant toute autre chose, l’importance qu’elle a eue dans le long travail qui a constitué la réalisation de La momie à mi-mots. Elle a été mon assistante dès l’élaboration du scénario. Elle m’a encouragé et m’a aidé pendant toutes les phases de la réalisation de La momie à mi-mots (elle a été en particulier mon assistante à la mise en scène et à la production).

Notre duo a été d’autant plus fécond que, au moment même où je tournais le film, elle écrivait un livre (Corps Provisoire) justement consacré à la danse, qui est l’une des clés du film. C’est ensemble que nous avons réfléchi à ce qu’est la danse, à l’importance du corps: autant de réflexions qui ont influencé en profondeur la matière du film. L’expérience de La momie à mi-mots a d’ailleurs constitué un moment important de ce livre, puisque plusieurs pages de la coda ainsi qu’un dossier iconographique lui sont consacrés.

Voici comment le scénario s’est peu à peu dessiné. Tout de suite après ma rencontre avec Jean Rouch, je racontais à Michèle mon projet, au café du Jardin du Luxembourg, qui était l’un de nos bureaux de travail.

Je ne pensais à aucune forme préconçue et j’entendais créer un espace d’image totalement libre. Le seul modèle auquel j’accordais une certaine importance était celui du conte. Enfant, le film que j’aimais par-dessus tout avait été Peau d’âne. C’est aussi pour les atmosphères de contes de fées que j’aime les films de Cocteau 14 que je vais souvent revoir. Mon goût pour les contes est d’ailleurs si fort qu’au moment où j’écris ces lignes je me régale en lisant Le cabinet des fées. Il est important pour la compréhension de La momie à mi-mots que l’on sache que, durant toutes ces années, mes préférences en matière de lectures étaient allées vers les récits qui font appel au merveilleux: par exemple, Les mille et une nuit, La légende arthurienne, Le manuscrit trouvé à Saragosse, livres que j’avais tous lus à haute voix.

Le scénario prenait forme, comme un conte, à mesure que j’en parlais à Michèle. Je compris aussitôt que le personnage central serait une jeune femme en crise dans le jardin du Luxembourg. Elle agoniserait et mourrait dans un bac à sable. Elle serait momifiée par des balayeurs du jardin et des jardiniers. Chacun d’eux serait de nationalité différente et représenterait ainsi la diversité des habitants du monde: il y aurait là un Asiatique, un Africain, etc... J’avais tout de suite eu l’idée d’une trame centrale: mort et résurrection.

C’est en se consacrant à leurs travaux quotidiens dans le jardin que les balayeurs donneraient à la momie l’impulsion nécessaire pour renaître. Je voulais que cette vieille momie sortant de ses bandelettes, devienne une belle jeune femme et rejoigne la ronde de ces hommes. Je voulais qu’ils soient masqués et qu’ils l’attendent autour du bassin du Luxembourg, pris dans la glace. Ma première idée était que, au fur et à mesure que la jeune femme avançait, elle redonnait la vie autour d’elle, les masques tombaient dans le bassin et la glace fondait.

J’imaginais qu’à la fin, la jeune femme pourrait être saluée par des enfants, qui, libérés grâce à cette catharsis, accourraient avec des cerfs-volants et des bateaux à voile. Elle les entraînerait, un peu à la façon du "joueur de flûte", vers un monde nouveau.

J’ai cherché à rendre compte de la métamorphose du scénario en reproduisant en annexes trois moutures principales (sur dix). La comparaison de ces moutures montre clairement que plusieurs idées ont dû être abandonnées au profit d’autres plus réalisables.

Dans l’enthousiasme de la première version, je disais à Michèle que je souhaitais me donner une totale liberté d’écriture: j’entendais agir comme si j’avais tous les moyens pour réaliser ces idées (utopie, bien sûr!). Mon découpage devait être le meilleur possible et ne devait pas tenir compte du coût de la réalisation! C’est ainsi que j’ai même eu l’idée (saugrenue!) que les prises de vues du bassin gelé soient faites du haut d’une grue ou d’un hélicoptère. C’est dire à quel point la question du financement était pour l’heure secondaire. Le temps était au rêve!

La mise en forme de ces idées par écrit, sous la forme du premier synopsis et du scénario a pris un mois. Il est important de dire que je l’ai écrit en partie à La Ciotat, à l’Atelier Bleu, où j’étais "en pèlerinage" dans la ville des frères Lumière. J’y découvrais la fameuse gare de L’entrée du train en gare de la Ciotat (l’une des premières bandes Lumière) et leur maison de vacances. Sans eux, la magie du cinéma ne serait pas. J’aimais l’idée de commencer La momie à mi-mots sur les lieux où commença le cinéma.

Je rêvais aussi du musée du cinéma, qui prenait place, dans mon esprit, à l’emplacement des chantiers navals en butte aux difficultés économiques. J’imaginais une reconversion possible. Je rêvais que, là-bas, en 1995, la totalité des films du monde entier serait regroupée dans une gigantesque filmothèque, capable de diffuser le catalogue de ses films partout, grâce aux futures autoroutes de l’électronique et du multimédia. Je voyais déjà, greffées dans les énormes structures métalliques des chantiers navals, trois grandes salles de projection: l’une dans les airs, pour les films consacrés à cet élément; l’autre au niveau du sol, pour tout ce qui se rapporte à la terre. La veille du jour de l’an, le 31 décembre 1989, j’inspectais "la troisième salle", lors de mon baptême de plongée sous-marine: à mesure de ma progression au milieu des fleurs sous marines qui s’ouvraient sur mon passage, je la découvrais immergée et entièrement transparente. On y projetait des films aussi la nuit. Après chaque projection les fonds marins étaient éclairés et apparaissaient aux spectateurs. Je voulais que cette salle fût comme un grand aquarium d’air destinée aux films consacrés à la mer, à l’eau. Pour ce qui est du feu, il n’avait pas besoin de salle, me disais-je. Le feu était lui-même, déjà, dans chacune des salles: c’était la lumière nécessaire à toute projection. Et La Ciotat n’était-elle pas comme une vaste salle, sous le projecteur du soleil!?

Un peu avant ma remonté, j’avais rencontré ma première murène et on m’avait filmé, avec elle, en vidéo sous-marine. Celui qui me filmait était Gabby Béranger, un vieux moniteur de l’Atelier Bleu, qui avait aussi initié à la plongée - me disait-il avec fierté - le chef opérateur du Grand Bleu.

Non loin de cet endroit, je me rendis à Bandol, pour y filmer en vidéo, dans l’idée d’un futur clip sur la peinture, les tableaux de Roger van Rogger. J’imaginais une mise en scène, où l’âne de la propriété se promenait au milieu des tableaux. J’allais faire également, là-bas, ma première gravure sur zinc, à la pointe sèche, matériau très dur et difficile à graver... à l’image de ce qui m’attendait avec La momie à mi-mots, dont je poursuivais simultanément l’écriture de la première version (je ne savais pas qu’il y aurait dix réécritures successives, très différentes, du scénario avant le tournage).

Voici la déclaration d’intention, faisant partie du dossier que je donnais à lire à Jean Rouch, à mon retour:

" Ce film est écrit sans dialogue ou presque. La bande son, très importante, sous-tendra les images. Une composition originale est prévue. La musique essayera de traduire ce que ressent la momie muette dans son voyage intérieur, pendant que les autres personnages travaillent à sa "résurrection".

La momie est l'expression de notre moi prisonnier qu'il faut libérer: c'est l'un des sens possibles de la crise de la jeune femme. La libération du moi peut s'accomplir par la conjonction d'un travail intérieur (la musique de la momie) et d'un travail extérieur: celui de tous les êtres (incarnés ici par huit personnages provenant de civilisations et d'époques différentes, puisqu'ils peuvent porter des masques empruntés à des siècles divers).

Ces personnages ne sont eux-mêmes que la manifestation extérieure de la complexité du monde intérieur de la momie. Leurs actes qui pourraient sembler incohérents s'inscrivent dans une équation à X infinités inconnues.

Chacun des actes de ces personnages a d'infimes répercussions sur la momie et participe à sa "résurrection".

La momie, réveillée de son court sommeil réparateur, rejoint la totalité des êtres qu'elle voit enfin sans masque, parce qu'elle-même est sans masque. Son sommeil (son voyage intérieur) a arrêté le temps (la Fontaine Carpeaux n'est plus baignée par l'eau).

Son réveil et son active participation au monde réactive la vie et les jets d'eau de la Fontaine. Une ronde se forme; un anneau, vu du ciel (si possible), auquel participent les enfants qui ont enfin en main la connaissance des cartes : le futur avec son retour à l'origine. La momie à mi-mots... Les maux de ma mie !"

Au mois de janvier, Tamara Dalma présenta le dossier de La momie à mi-mots au G. R. E. C. : à l’un des deux collèges qui se réunissaient pour se prononcer sur la qualité des projets. Les autorités du collège B se montrèrent favorables à La momie à mi-mots, sous réserve de lire le budget détaillé du film, qui ne devait pas excéder la subvention de 30 000 francs qu’ils étaient disposés à m’accorder 20.

Au G. R. E. C. , me disait Tamara, on ne croyait pas le projet réalisable pour cette somme. Certains membres du groupe étaient cependant disposés à encourager le film et à me faire confiance. Tous avaient trouvé le scénario intéressant et espéraient le voir se concrétiser un jour. Ils attendaient de lire un devis plus précis, faisant apparaître chacune des étapes de la réalisation du film et, en parallèle, une somme d’argent prévue à cet effet.

Je devins alors producteur et je fis les recherches nécessaires pour trouver les meilleurs prix en vue de soumettre au G. R. E. C. un devis chiffré et détaillé.

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09 Michèle Finck est professeur en littérature comparée à l’Université des Sciences Humaines de Strasbourg, elle a, notamment publié un livre : Yves Bonnefoy, le simple et le sens, José Corti, 1989.

10 Autour du vidéo-poème: "La porte", en 1987, au Théâtre de l’Ombre qui Roule. La vidéo du spectacle a été aussi présentée à la Villa Médicis, dans le cadre du festival Eurovisioni, en 1987.

11 Actrice d’Eric Romher: premier rôle dans La femme de l’aviateur, et rôle important dans L’amie de mon amie et Perceval le Gallois.

12 Claude Vigée, La porte de jade, in revuexpress Circé n°37 du 24 Juin 1987.

13Corps Provisoire, Arts Chorégraphiques: L’auteur dans l’oeuvre, Armand Colin, 1992, le dossier photos du film de la page 101 à la page 107 et la coda page 108 à 111.

14 Voir Cocteau cité par Claude Beylie Cocteau, Anthologie du cinéma, supplément à l’Avant-Scène du Cinéma n°56, 12 février 1966, p.74: "C’est un peu de cette naïveté que je vous demande et, pour nous porter chance à tous, laissez-moi vous dire quatre mots magiques, véritable "Sésame ouvre-toi" de l’enfance: il était une fois..."Claude Beylie commente: "Ce credo peut servir d’exergue à toute l’oeuvre de Cocteau. Mais nulle part mieux que dans La Belle et la Bête n’apparaît cette volonté de se replonger dans ce qu’il appelle ‘le bain lustral de l’enfance’. Retrouver le cheminement secret de l’émotion des tendres années à l’écoute du conteur, s’éveiller au monde neuf de la légende ou du rêve en s’endormant au nôtre, et déboucher finalement sur la Mort, soeur jumelle du sommeil, telle est, par excellence, la démarche poétique et plus encore cinématographique." Et plus loin p. 98: " ‘Il ne s’agit pas de comprendre, il s’agit de croire’: l’on en revient toujours, avec Cocteau, à ce précepte. La poésie, et spécialement la poésie du cinématographe, ce tapis volant si aisément empruntable pour peu que l’on connaisse le mot de passe qui le fera voguer, ne se prouve pas, elle se trouve, quasiment sans se chercher."

15 Le cabinet des fées tome 1, Contes de Madame d’Aulnoy, édition Picquier Poche, 1994. J’ai une prédilection pour le conte La chatte blanche, où les mains invisibles tenant des flambeaux, me font aussitôt penser à La belle et la Bête, de Cocteau.

16 Les Mille et une Nuits , contes traduits par Joseph Charles Mardrus, coll. Bouquins, Robert Laffont, 1989

17 La légende arthurienne, Le Graal et la Table Ronde, coll. Bouquins, Robert Laffont, 1989.

18 Jean Potocki, Le Manuscrit trouvé à Saragosse, José Corti, 1989.

19 J’en reproduis ici la dernière version

20 Parallèlement, je présente mon scénario de long-métrage de Maîtrise Anticythère, au Grand Prix du Meilleur Scénariste. Il est placé dans les six meilleurs scénarii de l’année 1989. Ceci va m’encourager à travailler sur une adaptation d’un roman en guise de D. E. A. , sous la direction de J. P. Torök.

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Révision : 11 avril 2003