" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique.
Genèse d’un film.
II. 2. c. 2. Michel Deneuve: compositeur pour cristal; un mage musicien
La première fois que j’ai entendu le cristal, cela a été un véritable émerveillement. J’ai connu, il y a quelques années Michel Deneuve, musicien, compositeur, chef d’orchestre et sonneur de cristal, par Alain Kremski (Michel Deneuve a été son élève au conservatoire). J’ai connu Michel, au Moulin d’Andé, près de Saint-Michel-sur-Orge, non loin de Paris. C’est un très beau lieu que Suzanne Lipinska dirige (où Truffaut notamment a tourné Jules et Jim). C’est une sorte de centre culturel où se réunissent, le week-end, des écrivains, musiciens, décorateurs de théâtre et cinéma, acteurs etc, autour d’un centre d’intérêt commun: la musique. Ils écoutent au "théâtre" de la musique.
Le "théâtre" est la salle de concert où j’ai écouté pour la première fois le cristal. Il est situé au-dessus de ce moulin du XIème siècle où l’on déjeune ou dîne, à la suite des concerts. Ce moulin est une véritable passerelle médiévale à cheval sur la Seine, vers une jolie petite île. Aussitôt, après le concert, je suis allé questionner Michel Deneuve. Il m’a donné tout de suite des explications concernant son instrument de musique: il s’agit en fait, d’une sculpture sonore, mise au point par les frères Baschet (sculpteurs d’objets sonores), dans les années 50. Trois grands pavillons (sortes de haut-parleurs) dont un de métal (en aluminium) retransmettent les sons provenant d’une série de touches disposées en clavier, comme sur un piano. Plusieurs gammes de notes se présentent sur ce clavier, sous la forme de tiges de cristal, de plus en plus longues. Il suffit de frotter ou de caresser, du bout des doigts humides, ces tiges pour les faire vibrer. Cette vibration produit des sons d’intensités différentes, retransmis par les pavillons situés en avant de l’instrument.
J’ai été impressionné très vivement par la qualité sonore de cet instrument de musique. D’autant qu’il s’agit de sons provenant d’un instrument contemporain, qui ne fait pas appel à l’électricité pour fonctionner.
Il faut souvent que le musicien passe par l’intermédiaire d’un autre instrument pour faire sonner un instrument de musique (l’archet dans le cas du violon, ou une paire de baguettes pour la batterie). Dans le cas du cristal, la seule médiation des doigts (des deux mains du musicien) trempés dans l’eau donne naissance au son. Ils sont ainsi utilisés directement comme sur le clavier d’un piano. Le spectre sonore de cet instrument est large, presque autant que le piano (à deux gammes près).
Quelques jours après, (Michel Deneuve m’avait donné rendez-vous), j’étais au Planétarium du Palais de la Découverte pour l’écouter encore jouer du cristal.
C’est sous la représentation des étoiles du ciel de Paris, bercées par les sons du cristal, que je rêvais d’intégrer un jour cet instrument peu connu dans un de mes films à venir.
Comme nous l’avons vu plus haut, Alain Kremski, que j’ai consulté au tout début du projet pour la musique de La momie à mi-mots 90, m’a conseillé de proposer aussi à Michel Deneuve de participer au film.
Je lui ai dit aussitôt que j’avais, moi aussi, souhaité lui en parler, d’autant que, sans nouvelles de lui depuis des années, je venais de recevoir un faire-part pour la parution de son dernier disque compacte, et une invitation au Café de la Danse, où Michel accompagnait au cristal une chorégraphie (n’était-ce pas encore une drôle de coïncidence?).
Je téléphonai donc à Michel Deneuve pour lui parler de ma conversation avec Alain Kremski, et je lui ai expliqué rapidement le projet. Il m’a demandé de lire le scénario, et nous nous sommes donné rendez-vous, le mois suivant, après son spectacle, autour d’une table du Café de la Danse.
Là, j’ai été heureux d’entendre Michel me dire qu’il acceptait de participer, car il avait beaucoup apprécié le scénario. Je lui ai fait part du récent accord de principe de Carolyn Carlson, ce qui lui a fait très plaisir: il l’admirait depuis longtemps. Nous avons défini ensemble les endroits du script où il nous semblait que l’intervention du cristal était utile.
Je n’avais pas eu tout de suite l’intention de demander à Michel de jouer dans le film. Son rôle devait se limiter à composer de la musique.
En revoyant, à l’occasion de ce spectacle, le cristal et son grand pavillon d’aluminium, servant de haut-parleur, j’ai demandé à Michel, sa présence physique et celle de son instrument de musique dans le film (je ne savais pas encore où dans le film - cela allait me conduire une nouvelle fois à repenser le scénario)
J’avais remarqué que le pavillon d’aluminium, qui servait à restituer le son du cristal, était une sorte de grand miroir déformant la réalité. C’était ce que je recherchais par ailleurs car, dès la première version du scénario, j’avais souhaité qu’apparaissent dans le film toutes sortes de déformations d’objets, qui devaient suggérer l’enfermement mental du personnage de la jeune femme (Carolyn Carlson), aux prises avec des délires, dans la séquence que constituait son agonie. Pourquoi ne pas utiliser cette plaque d’aluminium du pavillon du cristal pour réaliser ces déformations d’objets, au lieu de chercher à les obtenir par l’entremise d’images de synthèse, fort coûteuses? Pourquoi ne pas utiliser plastiquement le cristal et permettre au spectateur de comprendre, lui aussi d’où provenaient les sons étranges qu’il allait écouter? Pourquoi ne pas donner également au moment opportun la clé des déformations obtenues, en montrant le pavillon d’aluminium du cristal? Pourquoi Michel Deneuve ne deviendrait-il pas, à son tour, l’un des mages oeuvrant à la résurrection de la momie?
Chez Francis Pellenc 91, Margret m’avait déconseillé de la faire improviser avec Michel. Elle pensait que le cristal était un instrument fantastique qu’il fallait mettre en relief, en le présentant tout seul dans le film. Elle comprenait mon intérêt pour les sons de cet instrument, mais ne voulait pas mêler les sons de sa harpe à ceux bien trop puissants du cristal. De plus n’y aurait-il pas des problèmes (pratiquement insolubles) de transport de sa harpe de San Remo à Paris?
Avant d’enregistrer Michel Deneuve dans l’atelier où les frères Baschet ont inventé et mis au point le cristal (au 11, rue Jean de Beauvais, dans le 5ème arrondissement de Paris), je lui ai fait écouter les compositions pour harpe de Margret Brill 92 (je revenais tout juste de San Remo) et celles de piano bastringue de Roland Godard 93.
Il y avait dans l’atelier toute sorte d’autres sculptures sonores dont je n’avais jamais entendu les sons et qui me rendaient très curieux. Michel allait, à ma demande, me permettre d’écouter les sons de ces nouveaux instruments. J’ai été intéressé par les sons de plusieurs d’entre eux et nous les avons enregistrés. Je fus enthousiasmé de découvrir des affinités entre ces sons et certaines scènes de mon scénario.
J’étais venu avec Roland qui avait voulu prendre connaissance directement des sons du cristal dont je lui avais beaucoup parlé. Roland joua de certaines de ces sculptures sonores Baschet. C’était des percussions bizarres, dont les sons improvisés accompagnaient ainsi les musiques que Michel avait préparées pour La momie à mi-mots.
En fait, en voyant ces percussions et en entendant les rythmes qu’elles produisaient, je fus pris d’un coup de foudre à leur égard et j’ai voulu aussitôt les associer au film. De cette façon, ce fut un ensemble de sculptures sonores Baschet, et non seulement le cristal, qui allaient intervenir, en fin de compte, dans le film.
La collaboration entre Michel et Roland se déroula très bien pendant les enregistrements et fut très fructueuse. Ils avaient, tous deux, une grande expérience de l’improvisation et s’entendaient à merveille. Ce fut à l’aide du matériel d’Elison, bien sûr, que j’enregistrai, sur D. A. T. , en son numérique stéréo, ces nouvelles musiques. Nous avions minuté auparavant les scènes où elles devaient intervenir. Elles étaient la toile de fond sonore sur laquelle Carolyn allait évoluer.
90 Voir partie concernant le choix des acteurs et Carolyn Carlson.
91 Voir partie concernant Margret Brill.
92 Voir partie concernant Margret Brill.
93 Voir partie concernant Roland Godard.