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" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique. 

Genèse d’un film.

 

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II. 2. c. Les musiciens acteurs

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II. 2. c. 1. Margret Brill, la harpiste; la mamie

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Ce fut à San Remo, en Italie, où je suis allé en vacances, au mois de Septembre 1990, que je rencontrais Margret Brill, la harpiste américaine de mon film. Ce fut grâce à sa fille, qui promenait son petit chien sur la voie aurélienne, que j’allais la connaître. Ce fut au café, où je me rendais pour petit déjeuner, que nous fîmes connaissance. Elle s’appelait Andrea, était américaine et peintre. Elle vivait depuis peu à San Remo où elle s’ennuyait. Elle avait dû quitter, à la mort de son père, l’île de Capri dans laquelle elle vivait dans une belle maison avec ses parents. Nous avons parlé peinture et je fus intéressé par son travail. Elle m’invita chez elle pour le voir.

À mon arrivée, une dame âgée, avec des lunettes noires me regarda par la fenêtre. C’était la mère d’Andrea. Je fus reçu merveilleusement dans leur jardin. Andrea me montra ses tableaux que je n’appréciai guère. Sa mère m’intrigua beaucoup, elle ressemblait à une ancienne star de cinéma (avec son port de reine-mère et ses lunettes noires), avec son chien et ses chats dans ce jardin d’exil. La mère avait tôt fait d’éclipser sa fille.

J’aimai particulièrement chez eux une série de tableaux accrochés aux murs autour d’une magnifique harpe. On m’a dit qu’il s’agissait des tableaux du défunt mari de Margret, Harold Gomberg. Il avait joué en tant qu’hautboïste avec les plus grands chefs d’orchestre (Sejiï Osawa, et Léonard Bernstein - on me montra des disques où il fut soliste sous leur direction). Margret Brill était, elle aussi, musicienne, une ancienne harpiste qui avait longtemps joué sous la direction de Léonard Bernstein au Philharmonique de New York. D’ailleurs Bernstein ne préfaçait-il pas le disque de compositions pour harpe de Margret? Elle me parla beaucoup d’elle, de son passé dans sa maison de Capri qu’elle regrettait. Je lui demandai si je pouvais venir filmer en vidéo les tableaux de Harold Gomberg que j’aimais beaucoup. Se pourrait-il, par la même occasion, que je puisse la filmer en train de jouer l’une ou l’autre de ses compositions pour harpe? Elle accepta. Nous avons pris rendez-vous pour le lendemain.

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Le lendemain, après avoir filmé les tableaux de Harold Gomberg en les transportant à la lumière du soleil, un par un, dans le jardin, j’allais filmer en vidéo Margret, à sa harpe, dans son salon. Elle me joua quelques-unes de ses compositions. C’est alors que j’écoutais des sons inouïs, d’une violence extrême pour cet instrument. Ils m’aimantaient par leur énergie et leur magnétisme. C’étaient des compositions qui faisaient exploser le carcan trop étroit du répertoire classique de la harpe, me disait-elle. Dans certaines compositions, elle frappait aussi d’un coup de poing le bois de la harpe. Elle utilisait son instrument comme s’il s’agissait d’un orchestre de plusieurs instruments. C’étaient des sons étranges, des borborygmes de harpe. Il se dégageait de ce jeu une énergie qui envahissait tout. Les mains de Margret étaient des mains larges, cornées. Je terminai la vidéo en filmant le tableau de Harold Gomberg qui se trouvait au-dessus d’elle et qui la représentait avec une harpe au milieu d’un espace qui avait tout d’une représentation subjective du nirvana. Je rappelle ici que cette vidéo a été déterminante pour la collaboration de Carolyn Carlson à La momie à mi-mots.

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Avant de me quitter, Margret me donna deux cassettes enregistrées. C’étaient des d’improvisations d’elle et de son mari, pour harpe et hautbois, qu’elle viendrait récupérer au café où je devais prendre mon petit-déjeuner le lendemain. J’allais beaucoup aimer ce que j’écoutais, ce soir-là, sur mon appareil à cassettes. Je trouvai formidable leur façon légèrement jazzée de jouer ensemble. Jamais je n’aurais cru la harpe capable d’un tel esprit. Les Gomberg devaient être un couple merveilleux et devaient s’amuser beaucoup en jouant de la musique ensemble: c’étaient de perpétuelles inventions musicales. Le lendemain, excité par cette découverte, je lui racontai le projet de La momie à mi-mots, au café, avec l’espoir de l’intéresser au projet. Peut-être accepterait-elle d’improviser avec les musiciens pressentis pour le film? Ce fut alors un grand bonheur: Margret me proposa de composer des musiques pour mon film. Mais connaissait-elle les conditions financières du projet? Elle me dit que l’argent ne comptait pas pour elle, qu’elle était à la retraite et qu’elle aimerait essayer de me proposer quelques musiques. Elle l’avait d’ailleurs déjà fait, récemment, pour Maurice Béjart. Je lui parlais alors de ma façon d’entendre les musiques que je souhaitais pour le film. Je lui ai dit que, dès mon retour à Paris, je lui enverrais le scénario (elle lit et comprend très bien le français) avec des indications en face de chacune des séquences pour lesquelles je n’avais pas encore de musique.

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Quelques semaines passèrent. Margret accepta de venir à Paris pour rencontrer un autre musicien du film, Michel Deneuve 85 dont l’instrument était si original qu’il me paraissait important d’organiser une rencontre entre eux. Je souhaitais une collaboration entre eux, voire une improvisation avec harpe et cristal 86. Ce fut chez son amie, la Baronne Francis Pellenc, qui l’a reçue dans son splendide hôtel particulier de l’avenue Gabriel (en contraste parfait avec mon film plutôt désargenté!) que nous vînmes, Michel Deneuve et moi, avec le cristal pour improviser un concert, afin que Margret puisse se familiariser avec les sons étranges de cet instrument. Margret fut impressionnée par les qualités acoustiques du cristal mais n’eut pas envie de faire travailler sa harpe, de concert avec le cristal.

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Elle repartit à San Remo pour travailler aux compositions du film. Nous communiquâmes souvent au téléphone pour préciser le climat musical de chacune des scènes qui la concernaient (presque tous les soirs, jusqu’à ma venue pour l’enregistrer nous dialoguâmes au téléphone). Enfin, je reçus les propositions de Margret dans une cassette audio très mal enregistrée. C’étaient les idées de compositions pour La momie à mi-mots. Je découvris alors plusieurs morceaux qui m’intéressèrent. J’aimais spécialement ce qu’elle avait composé et joué (on y sentait toute l’expérience de la vie de Margret) pour la séquence de la mort de la jeune femme, ainsi que le morceau pour la séquence des enfants qui jouaient dans le jardin à la marelle sur les cartes du monde. Je lui dit mon enthousiasme par téléphone et nous convînmes d’une date, où toutes les compositions devaient être prêtes pour l’enregistrement à San Remo, avec du matériel professionnel.

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Ce fut en pleine grève des transports aériens que je m’y suis rendu (ce qui n’a pas été une chose simple), chargé comme un baudet, muni d’un enregistreur audio D. A. T. , de deux micros San eiser, d’une perche parapluie pour placer les micros, de jeux de câbles, et d’amplificateurs pour les micros, ainsi que d’une caméra vidéo et de divers bandes audio et vidéo 87. J’ai mis au courant Margret du tournage de Lille, et je fus heureux de pouvoir présenter Carolyn Carlson, par l’entremise du viseur de la caméra vidéo, munie d’un petit écouteur. C’est ainsi que Margret allait découvrir le solo improvisé de Carolyn, sur la musique de Michel Portal 88. Elle en fut très heureuse car elle avait beaucoup entendu parler de Carolyn sans jamais l’avoir vue.

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Au cours de ce séjour, Margret voulut me faire visiter l’usine de harpes Salvi de Cuneo pour que je comprenne mieux ce qu’était une harpe. Nous nous y sommes rendus par le train pittoresque du col de Tende. Au passage, nous admirions le magnifique paysage des oliviers et des villages de pierre juchés sur les montagnes, comme des villages tibétains qui apparaissaient du haut des viaducs, avant de disparaître dans les nombreux tunnels de la voie de chemin de fer. Je lui dit d’ailleurs, en passant, que mon père avait négocié près de trente ans en Italie et en France pour faire reconstruire ce trajet de chemin de fer (l’un des plus impressionnant qui soit) après la seconde guerre mondiale car tous les viaducs avaient été minés.

L’usine était très grande et nous fûmes reçus par son directeur, qui connaissait bien Margret et qui se souvenait du choix délicat et difficile qu’avait représenté l’achat de sa harpe. On m’expliqua, dans les ateliers d’assemblages, les différentes phases de la construction d’une harpe: du choix des bois, à la décoration finale ainsi que la fabrication extrêmement précise des cordes. D’ailleurs ne sommes-nous pas rentrés à San Remo avec un jeu de nouvelles cordes, pour les enregistrements que j’entendais faire des compositions de Margret?

Je m’improvisai ingénieur du son: nous allions travailler deux jours pour enregistrer, le mieux possible, les musiques que Margret avait composées, pour trouver ensemble la meilleure interprétation possible, ainsi que les meilleures places pour les micros. Je filmais également Margret en vidéo pour être sûr d’avoir une sécurité sonore (l’enregistrement son de la caméra vidéo que j’avais apportée possédait une qualité de son stéréo comparable au numérique du D. A. T. ).

Je fis part à Margret, au cours d’un déjeuner au Cantuccio d’Ospedaletti, de mon souhait de la voir actrice dans le film. Elle me dit qu’il n’en était pas question. Je lui expliquai que je désirais la voir jouer de la harpe dans la séquence où Roméo lançait ses yo-yos autour de la momie. Elle ne voulait pas, elle se sentait trop vieille et plus assez belle pour participer à un film. Je lui dit que si c’était le cas, je ne lui aurais pas fait cette proposition. D’ailleurs ne s’était-elle pas aimée en se revoyant en train de jouer de la harpe dans le viseur de ma caméra? L’image vidéo ou filmée n’était-elle pas, dans sa traduction de la réalité, tributaire des éclairages, du maquillage etc?

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Je profitai de la présence de ma caméra, pour illustrer comment l’idée m’était venue, en lui montrant les répétitions filmées avec Roméo dans le square Marco Polo, derrière la fontaine Carpeaux. 

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Je rappelle ici 89 que j’avais intuitivement mis, en guise d’accompagnement, sur les images de Roméo dansant avec ses yo-yos les musiques des compositions de Margret que j’avais extraites de la vidéo réalisée lors de ma première rencontre avec elle.

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Margret, les écouteurs aux oreilles, alla coller son oeil un bon moment sur le viseur de la caméra, et lorsqu’elle s’en détacha, je m’aperçus qu’elle était en pleurs. Je m’inquiétai et elle me dit, visiblement très émue, qu’elle avait composé certaines de ces musiques il y avait vingt ans pour le moment qu’elle venait de vivre. En effet, elle comprenait, maintenant, ce que j’avais ressenti lorsque j’avais vu cette merveilleuse adéquation sonore entre ses compositions et les mouvements de Roméo, lançant ses yo-yos de-ci et de là dans le ciel comme s’il jouait d’une harpe invisible, les fils des yo-yos devenant les cordes de cette harpe. A la vue de ces images et face à ma détermination, Margret finit par accepter de venir à Paris pour tourner dans la scène avec Roméo. Nous travaillâmes ensemble son rôle. Je la voyais comme une sorte d’ancêtre totémique qui veillait sur la momie au côté de Roméo. Elle m’a dit en plaisantant qu’elle serait la "mamie" de La momie à mi-mots! Je repartis à Paris avec toutes ces musiques nouvelles ainsi qu’avec la promesse de la venue de Margret et sa participation physique au film.

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85 Voir partie concernant Michel Deneuve.

86 Nom de l’instrument de musique utilisé par Michel Deneuve.

87 Voir mes relations avec Elison et l’ingénieur du son pressenti pour ce travail.

88 Voir, pour détails, la partie concernant Carolyn Carlson, et la partie concernant le tournage vidéo

89 Voir partie concernant Roméo.

 



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Révision : 11 avril 2003