" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique.
Genèse d’un film.
II. 2. d. Les enfants acteurs du film: les trois fillettes, les deux enfants à la baguette magique, Elodie (Carolyn Carlson enfant) et la centaine d’enfants de l’école alsacienne. L’enfant, espoir d’un monde nouveau
J’ai attaché une grande importance au choix des acteurs enfants, parce que c’est eux surtout qui sont porteurs du message d’espoir de mon film. C’est aussi le grand rôle confié aux enfants qui rapproche mon film de la structure des contes et qui lui confère la tonalité de merveilleux, primordiale à mes yeux. Grâce à la participation majeure des enfants, j’ai aussi voulu faire un film visible à la fois par les adultes et les enfants. Carolyn Carlson était d’ailleurs d’emblée enthousiaste à l’idée que, dans la scène finale du film, elle puisse danser au milieu d’une centaine d’enfants.
Pour incarner le rôle des trois fillettes qui réassemblent les cartes du monde, j’ai trouvé trois sœurs (Aurélia, Eléonore et Oriane) que je connaissais depuis longtemps et que j’avais vu grandir: j’aime leurs visages, leur intelligence et leur liberté d’esprit, donc de mouvement.
J’ai travaillé avec elles (et pour leur plus grande joie) leur rôle, mais je dirai plus tard qu’au moment du tournage l’improvisation a pris le dessus. Plus que le travail préalable de répétition, ce qui s’est révélé important c’est la confiance que j’ai réussi à créer entre nous. Elles ont compris que nous étions complices d’un même jeu et c’est cela qui a rendu l’improvisation magique. Il y avait seulement quelques fils conducteurs que je leur ai expliqués. Elles devaient faire tourner un manège 106, réassembler les cartes données par Jean Rouch pour retrouver le planisphère en son entier, jouer à la marelle sur ces cartes au sol avec leur mère (Anne-Laure Meury) le mage (Jean Rouch) et le peintre (moi-même). J’avais surtout l’idée de transformer la carte du monde ainsi réassemblée en deux gigantesques cerfs-volants que les fillettes devaient faire voler dans le ciel.
C’est ce décollage des cerfs-volants dans le ciel bleu qui allait donner l’impulsion nécessaire à Carolyn Carlson pour renaître.
Le choix des costumes les a passionnées autant que moi: je les ai voulus très colorés, taillés dans des tissus guatémaltèques, en accord avec l’importance dans le film des éléments de décor 107 venus d’Amérique du Sud.
Je cherchais aussi deux enfants frère et sœur, qui se ressemblent beaucoup, et puissent donner l’idée d’une certaine gémellité. Je souhaitais aussi qu’ils ressemblent à Carolyn enfant et qu’ils soient blonds comme elle. J’ai trouvé deux enfants (Delphine et Cyprien) d’origines polonaises, assez proches des ascendances nordiques de Carolyn. Leurs rôles contribuaient à renforcer la dimension de merveilleux du film: c’est à eux qu’il revenait de remettre la baguette magique à Carolyn ressuscitée.
Décisif a été aussi le choix de la fillette qui devait incarner Carolyn enfant. Je la voulais blonde et surtout très agile, une future danseuse. Là encore, ce fut le hasard qui a dicté notre rencontre. Un jour que nous tournions la scène des sonneurs de trompes, à bord du remorqueur qui transportait la momie sur la Seine, j’ai vu une étrange apparition: une petite fille faisait la roue sur les berges nocturnes de la Seine et enchaînait les roues l’une après l’autre en donnant l’impression de ne jamais s’arrêter. J’ai appris que c’était Elodie, la fille du propriétaire du remorqueur qu’il avait fait venir pour assister au tournage.
J’ai pensé que cette enfant aux longs cheveux blonds, aux allures de saltimbanque, était exactement celle que je cherchais pour jouer le rôle de Carolyn enfant et pour être la partenaire de Philippe Léotard dans la scène de la statue de L’Ecriture. Sa famille et elle-même furent enchantées à l’idée de participer à mon film.
J’ai à peine eu besoin de répéter avec elle: c’est elle qui venait de me donner l’idée de son apparition dans le film en faisant la roue. Encore une fois, c’est une scène du réel qui a été dépositaire du merveilleux dans mon film.
L’importance de l’enfant dans tout le film atteignait son paroxysme à la fin, lorsque Carolyn devait entraîner dans sa danse une centaine d’enfants. Dès le premier jet de l’écriture du scénario, j’ai pensé au conte du Joueur de Flûte qui m’avait beaucoup impressionné quand j’étais enfant. Dans La momie à mi-mots, Carolyn pouvait être vue comme une sorte de Joueur de Flûte mais dans une version positive de ce conte. Nulle vengeance ici, mais seulement le désir d’entraîner les enfants vers un monde à réinventer avec eux et pour eux.
Où trouver cette centaine d’enfants? Telle a été d’emblée ma préoccupation. J’ai eu l’idée de m’adresser à l’Ecole alsacienne qui se trouvait être l’école la plus proche du lieu de tournage où la scène était pressentie.
Après maintes démarches et contrairement aux habitudes de ce lycée, le proviseur m’a donné son accord, à condition que je vienne, plusieurs fois, initier au cinéma et à la vidéo chacune des classes d’enfants concernées.
J’ai projeté à ce jeune public une série de petits clips vidéos que j’avais réalisés (les mêmes qui ont déterminé l’adhésion de Carolyn à mon film). À la suite d’un travail préalable avec leurs maîtresses, je leur ai raconté le scénario et leur ai expliqué leur rôle. Enthousiasmés par le scénario, ils ont fait, avec leurs maîtresses, de leurs propres initiatives beaucoup de très beaux dessins que j’ai eu l’idée d’introduire dans la scène de mort de Carolyn. Carolyn, au moment de mourir, avait plusieurs visions: en particulier elle se voyait dans le bac à sable au milieu d’une spirale de dessins d’enfants.
Restait à obtenir l’adhésion des parents d’élèves et à déterminer avec eux les costumes de chacun des enfants. L’école s’est chargée des assurances et des autorisations parentales. Le proviseur m’a dit que si un seul des parents refusait le projet, celui-ci tomberait à l’eau. C’est donc avec toute ma force de conviction que j’ai parlé aux parents. Je crois que c’est en grande partie grâce au sujet du film, à son message d’espoir, et à la présence de Carolyn que nous avons réussi à emporter l’adhésion de tous les parents.
J’ai insisté au près d’eux sur la nécessité d’habiller les enfants avec des vêtements chauds et très colorés, de façon à ce qu’ils composent un tableau fait de touches vives et joyeuses, pour accompagner la résurrection de Carolyn. L’école m’a cependant imposé une limite de temps: il fallait que le tournage de la séquence n’excède pas une journée ce qui, comme nous le verrons plus tard, devait représenter un défi.
106 Voir plus de détails dans la partie consacrée au tournage.
107 Voir partie concernant les décors.