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" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique. 

Genèse d’un film.

 

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II. 2. b. 2. Philippe Léotard - le père de Carolyn enfant et l’homme masqué

Quelques années avant d’écrire le scénario de La momie à mi-mots, j’avais lu un entretien dans Les cahiers du cinéma avec Philippe Léotard et j’avais beaucoup aimé sa façon de répondre aux questions. J’avais surtout apprécié qu’il se dise prêt à travailler avec de jeunes cinéastes inconnus. Je m’étais dit que je serais heureux de le rencontrer et peut-être de le prendre au mot.

Je cherchais, pour incarner le rôle du père de Carolyn enfant (dans le flash-back où Carolyn se souvient d’une scène de son enfance), un être un peu clownesque et saltimbanque comme sa fillette (incarnée par Elodie) 76.

Un matin très tôt, alors que je prenais mon petit-déjeuner au Bullier, je vis passer devant moi sur le boulevard du Montparnasse, Philippe Léotard qui portait une petite fille sur ses épaules. Je me suis aussitôt précipité: son apparition avec cet enfant sur les épaules, lui ai-je dit, était pour moi un signe qu’il était l’acteur que je cherchais pour mon film en cours. Il m’a présenté sa petite fille Faustine, m’a dit qu’il n’avait pas dormi et qu’il rentrait de Belgique ayant roulé toute la nuit. Il s’est montré tel que l’entretien lu me le laissait espérer, et m’a donné son adresse pour que je lui apporte le scénario.

Je l’ai appelé quelque temps plus tard. Il avait lu le scénario. La perspective de jouer avec Carolyn Carlson lui plaisait mais il voulait en savoir plus: voir le story board, écouter les musiques déjà enregistrées. Il m’a donné rendez-vous chez lui.

Lorsque j’arrivai, Philippe était habillé en clochard et j’eus la sensation qu’il me faisait subir un test.

Il fut impressionné par le story board 77 et la musique 78, me dit qu’il acceptait le rôle proposé. Il m’affirma que l’argent n’était pas un problème. Pour moi, qui me débattais avec beaucoup de problèmes financiers, c’était un soulagement et un encouragement dont j’avais bien besoin. Je lui fis part des dates pressenties pour le tournage de sa séquence. Elles semblaient lui convenir.

Malheureusement, quelques jours avant le tournage, sa femme Emmanuelle, que j’appelai pour confirmer le rendez-vous et pour convenir de l’heure à laquelle je devais envoyer une voiture pour chercher Philippe, me dit, désolée et semblant ne pas être au courant de mon film, que c’étais impossible: Philippe était déjà à Rome, à Cine Città, où il tournait dans un film de Marco Ferreri, pour lequel il avait depuis deux ans signé un contrat. Déçu que Philippe n’ait même pas songé à me prévenir, je dis à sa femme qu’il me paraissait impossible qu’il me laisse tomber, car il s’était engagé auprès de moi très récemment. J’osai penser qu’il avait sûrement l’intention de venir pour la journée de tournage qui le concernait. J’appelai Rome où Philippe s’excusa et trouva plein de prétextes pour ne pas rentrer à Paris pour sa journée de tournage. J’eus l’idée, pour ne pas perdre Philippe complètement, de terminer notre conversation sur un accord: je devais trouver une doublure pour les séquences de son rôle où il serait absent et je m’adapterai ultérieurement à son emploi du temps pour tourner les scènes où sa présence était indispensable.

Nous ne savions pas à quel point cette nécessité de le remplacer par une doublure, quelques jours avant le tournage, allait modifier en profondeur non seulement le rôle de Philippe, mais le scénario tout entier. C’est en effet grâce à cette absence imprévue qu’est né un nouveau personnage de La momie à mi-mots, qui plus est un personnage clé: l’homme masqué. A chaque fois que Philippe aurait dû jouer, j’ai fait jouer à sa place une doublure qui portait un masque que j’avais rapporté du Pérou, tricoté en laines colorées.

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J’ai compris très vite que d’un mal naissait un bien. Ce nouveau personnage créait un surcroît de mystère et un regain d’intérêt. Des zones d’énigme apparaissaient grâce à lui et faisaient obstacle à une interprétation trop évidente, facile et rationnelle des autres personnages qui, eux aussi, se coloraient du mystère de cet homme masqué. Très vite ce personnage est devenu, dans mon imagination, bien plus qu’une doublure de Philippe Léotard: à peu près à chaque séquence, il fallait trouver une façon de l’introduire, ne serait-ce qu’en clin d’oeil, afin qu’il ouvre le réseau des significations. L’idée reçue que la création parfois naît de la contrainte trouvait ici une confirmation pour moi. Bien que cela ait posé bien des difficultés l’avant-veille du tournage (nécessité de trouver des doublures de la carrure de Philippe, libres aux dates prévues), c’est avec enthousiasme que j’inventais sans cesse de nouvelles apparitions de l’homme masqué étoffant ainsi le rôle que devrait avoir un jour Philippe (près d’un an plus tard).

Voici les différentes apparitions que j’ai imaginées: l’homme masqué promenant l’enfant assis dans sa poussette, poursuivant Carolyn avant son agonie, présent dans un délire au moment de la mort de Carolyn, devenant le maître dans la scène des bateaux nocturnes, escaladant la coupole de l’Observatoire de Paris, 

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apparaissant dans la scène de la brocante... et finalement se démasquant à la fin du film pour prendre le visage de Philippe Léotard et se révéler être le personnage du début du film, c’est-à-dire le père de Carolyn enfant.

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Il restait donc pour Philippe deux scènes à visage découvert: celle où il incarnerait le rôle du père de Carolyn enfant, au début du film, et celle où il se démasquerait à la fin du film, arrivant avec les mages et l’aveugle autour de Carolyn ressuscitée.

En fait, il m’a fallu me battre pour obtenir que Philippe joue ces deux scènes. On imagine aisément que les perpétuels changements d’humeur et de date de Philippe Léotard n’allaient pas sans provoquer des difficultés pour les autorisations de tournage et pour les autres acteurs partenaires.

Nous nous sommes vus à de nombreuses reprises, car il lui semblait très important de me connaître davantage avant que d’accepter à nouveau. Je crois qu’il voulait s’assurer de la véritable nécessité de sa présence dans La momie à mi-mots. Il ne voulait pas que sa présence soit justifiée par sa seule notoriété, mais qu’elle corresponde à une nécessité intrinsèque au film. Je crois aussi qu’il voulait mettre à l’épreuve continuellement l’apprenti metteur en scène que j’étais, pour voir si j’allais tenir le coup.

Je ne raconterai ici que notre déjeuner de travail à la Closerie des Lilas, quelques jours avant le tournage. Ce dimanche-là de novembre 91, l’accès même à la Closerie des Lilas était rendu difficile par une grande manifestation à Port-Royal: le corps médical brandissait des ballons rouges en forme de coeur sur lequel étaient écrit: "ma santé, j’y tiens".

J’avais réuni autour de moi, Jean Rouch et mon assistante Michèle Finck que Philippe voulait rencontrer avant d’accepter, puisqu’elle devait être l’une de ses partenaires dans sa première scène. Philippe, de son côté, était venu avec sa femme, sa fille Faustine, et un de ses amis (compositeur de l’un des derniers films de Wim Wenders). Il a été très difficile de mener la conversation car sans cesse Léotard (qui ne tenait pas en place) se levait pour jouer avec sa fille, pour embrasser sa femme, ou pour se mettre au piano. Il me faisait l’effet d’un véritable diable en boîte (et c’est bien ainsi, vif et agile, que je le voulais dans mon film!).

Ce ne fut qu’à la fin du déjeuner que l’atmosphère s’est franchement détendue: à l’initiative de Jean Rouch, nous avons gonflé pour Faustine un grand ballon, au fil duquel nous avons tous suspendu des papillotes faîtes avec le papier d’argent entourant le chocolat noir servi avec le café.

Mais ce ne fut que plus tard, dans l’après-midi, que nous sommes parvenus à être seuls, Rouch, Léotard, mon assistante et moi-même. Philippe m’a enfin donné son accord, au terme d’une conversation avec mon assistante (sa partenaire), à qui il venait d’offrir son dernier livre de poèmes et de chansons, Portrait de l’artiste au nez rouge. Mais il m’a dit qu’il ne voulait absolument rien savoir de plus sur la scène qu’il devait jouer. Savoir le moins possible, m’a-t-il dit ce jour-là, était la condition même de son jeu: ne rien savoir pour avoir "le geste animal" qui seul valait à ses yeux, le geste "vraiment physique" (il se leva pour prendre une bouteille et mimer ce geste). Il m’affirma qu’il ne pouvait bien jouer que s’il savait peu de choses, s’il arrivait avec le trac et s’il était vraiment "en péril": "jouer, c’est être en péril; ne pas être en péril, c’est mal jouer". Il m’a dit que son grand maître avait été Jean Gabin.

Alors que je voulais au moins évoquer la question de son costume il me raconta une anecdote: il me parla de sa participation à un film de Doillon, où il avait également demandé à savoir le moins de choses possible sur son rôle, et où il avait inventé en dernière minute son costume. Toute la nuit précédant le tournage, il s’était posé la question du costume et brusquement le costume s’était imposé à lui: un costume de voyou, avec des raies mauves, qui lui avait été donné par un Corse sorti de prison. Il me raconta qu’il avait mis ce costume, s’était regardé dans le miroir et que "le miroir lui avait pété à la figure" (il répéta plusieurs fois cette phrase). Il me dit qu’à cause de ce miroir qui lui avait "pété à la figure", il avait su que le costume était le bon. Il m’a dit qu’il viendrait de même pour La momie à mi-mots, avec un costume inventé par lui, au dernier moment... Suspense...

Cela ne l’empêcha pas, tard le soir, la veille du tournage, de m’appeler et de désirer me voir. A la Closerie des Lilas, où il me donna rendez-vous, alors qu’il cherchait à faire jouer au piano Julien Clerc présent ce soir-là, il voulut m’inciter à chanter et à jouer du piano (à mon grand désespoir, moi qui n’étais que dans l’obsession de l’organisation du tournage du lendemain). Nous parlâmes un peu de son rôle par bribes (je crois qu’il cherchait à savoir comment s’habiller), au milieu d’une conversation plus vaste sur l’amour, la fidélité etc. Je réussis à filer avant d’être obligé de chanter, ce qui ce soir-là n’aurait pas été mon fort. Nous verrons plus tard que les deux scènes avec Philippe Léotard me donneront beaucoup de peine (je dus même les retourner plusieurs fois).

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76 Voir ci-dessous Elodie (partie sur les enfants du film).

77 Voir partie consacrée au story-board.

78 Voir partie concernant les acteurs musiciens.

 



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Révision : 11 avril 2003