" La momie à mi-mots": Un essai cinématographique.
Genèse d’un film.
II. 2. b. 5. Roméo de Jésus Géronimo - le danseur de yo-yos; variation sur la Parque
J’achetai, au mois de septembre 90, le pendentif, qui devait servir dans la séquence du collier, dans une petite boutique située non loin de la fontaine Carpeaux: La pierre de Lune. Je demandais à la propriétaire de me trouver une paire de boucles d’oreille qui pourraient se rapprocher de la forme du pendentif du collier. Elle m’avait dit de revenir quelques semaines après car elle en connaissait l’existence. Elle m’avait promis de demander à son revendeur de les trouver. En novembre, je me rendis à La pierre de lune avec Michèle Finck qui devait incarner le rôle dans la séquence du pendentif, au côté de Philippe Léotard, près de la statue de L’Ecriture 80. Nous étions heureux: les boucles d’oreille allaient parfaitement avec la forme du pendentif (il s’agissait, en fait de deux petits pendentifs montés en boucle d’oreille). Michèle les essaya. Elles lui allaient très bien. En sortant de la boutique, sur le boulevard Saint-Michel, j’avisai, devant la fontaine Carpeaux, un petit homme faisant d’étranges mouvements: on aurait dit du taï chi chuan.
Mon attention fut aussitôt éveillée car j’avais, il y a quelques années, fait mon premier film en 16 mm noir et blanc sur le taï chi chuan des chinois, sous les tours du treizième arrondissement de Paris à Tolbiac 81. Tout de suite intrigué, je traversai la rue. À mesure que j’avançais, je découvris un Asiatique qui, dans une étrange danse, lançait de part et d’autre des yo-yos. Il en avait un dans chaque main. La danse qu’il produisait m’enchanta. Je le contemplai en me disant que je voulais absolument des images de lui dans mon film: je savais (mais je ne savais pas encore dire pourquoi) qu’il me fallait sa collaboration. N’était-ce pas un signe, cette danse sur le lieu même de mon tournage à venir?
J’attendais avec fièvre que le danseur se repose pour m’approcher de lui et lui raconter mon projet de l’associer au film. Je lui racontai le script, il comprit mon enthousiasme de le voir sur le lieu même du tournage. Il voulait lire l’histoire. Nous communiquions en anglais car il est philippin. Il m’a dit que sa danse conjuguait des mouvements de taï chi chuan avec des mouvements de yoga. Il avait construit lui-même ces yo-yos, qui avaient un poids particulier, et dont les fils se reliaient aux doigts par un anneau de cuir qui facilitait les moulinets. Bref, nous sympathisions. Je ne savais pas encore de quelle façon il allait apparaître dans La momie à mi-mots mais j’espérais, bien sûr, obtenir son adhésion.
Il habitait non loin de chez moi, sur le boulevard du Montparnasse et nous convînmes d’un rendez-vous pour que je lui remette le scénario. Je lui ai parlé des autres acteurs du film. Le message du film lui plaisait. Je le quittai, heureux à l’idée de pouvoir réfléchir à la manière de l’introduire dans mon film, dont il allait falloir modifier à nouveau le scénario. J’aimais ce genre de défi.
Roméo, ancien marin ayant parcouru vingt fois le tour du globe sur toutes ses mers, avait jeté l’ancre à Paris où il vivait maintenant comme sculpteur. Il vivait depuis longtemps avec une femme française, décoratrice de théâtre et de cinéma, qui allait lui traduire oralement le scénario et l’encourager à accepter le rôle: elle connaissait un certain nombre des acteurs pressentis pour le film.
Au fur et à mesure de mes rencontres avec Roméo, l’idée que je m’étais faite de sa participation se précisait: je souhaitais d’abord qu’il apparaisse comme une sorte de génie (on ne sait si du bien ou du mal), un démon inquiétant évoluant autour de la momie. Je le voyais comme une araignée qui tissait, à l’aide de ses yo-yos, les hiéroglyphes d’une trame indéchiffrable. Il allait devenir une sorte de Parque moderne, filant ses yo-yos autour de Carolyn momifiée,
comme tissant la toile invisible du destin de la jeune femme. Son rôle n’allait pas cesser de croître 82. Nous allâmes le répéter ensemble sur place et je le filmai en vidéo.
Dois-je répéter combien cette vidéo a pesé dans la décision de Carolyn de collaborer à nouveau au film, peu de temps avant le tournage, alors qu’elle avait décidé d’y renoncer? Elle allait adorer Roméo et sa danse de yo-yos.
Ce furent aussi ces répétitions filmées en vidéo, sur lesquelles j’avais monté d’instinct la musique pour harpe de Margret Brill, qui allaient me faire ressentir le besoin de la présence physique de cette musicienne, avec une harpe, dans mon film. Je me suis servi de cette vidéo pour convaincre Margret de l’absolue nécessité de sa collaboration comme actrice 83. Roméo allait également m’aider pour certains des décors de La momie à mi-mots 84.
80 Aussi appelée le Marchand de masques.
81 Le titre de ce court-métrage consacré au taï chi chuan des chinois de Tolbiac: Le go des planètes. Il est visible à la Vidéothèque de Paris.82 Voir partie concernant le tournage.
83 Cette vidéo va d’ailleurs convaincre Margret Brill de venir à Paris pour incarner son propre rôle dans La momie à mi-mots, voir partie concernant Margret Brill.84 Voir partie concernant les décors et la collaboration de Roméo aux cerfs-volants.